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Nature en décomposition n’est pas un livre pour ceux qui n’aiment de la poésie que ce qui joue sur le vague des mots. Les fades connivences du sentimentalisme borné. Il procède d’un double mouvement extrêmement vivant de projection/diffusion et d’assimilation/concentration qui tente de tenir la balance plus ou moins égale entre tout ce qui du monde extérieurement nous aspire et de ce qui intérieurement cherche à être retenu de soi. L’extrême mobilité affective de l’auteur qui ne s’encombre jamais de raisonnement y entraîne le lecteur sur les voies syncopées d’une relation intime et souvent très physique avec ces diverses présences qui s’offrent tant à notre regard, à notre imagination, notre connaissance qu’à nos gestes ainsi qu’à nos angoisses, nos désirs ou nos aspirations.
La décomposition telle qu’annoncée par le titre y tient tout autant du processus biologique de dégradation inhérent à toute matière soumise aux effets plus ou moins visibles du temps qu’au processus mental par lequel l’esprit sépare en éléments les composants d’un tout. C’est ainsi que Camille Loivier entreprenant d’écrire ce qui fait à ses yeux paysage – c’est en gros l’objectif de la collection – choisit d’en décomposer les formes en 7 cycles distincts - pierre, bois, eau, terre, nuit, feu et air – où les 4 éléments fondamentaux imaginés par Empédocle se voient tissés à 3 matières à ses yeux essentielles.
Cette « décomposition » du paysage en ses principaux éléments permet un regard plus aigu, pénétrant mais qui ne vient toutefois jamais remettre en question la pensée organique du Tout. Mais d’un Tout dispersé, enchevêtré qui interroge sans cesse sur notre identité.
la terre n’est pas ce que l’on croit
de la terre
quand on la retourne
motte des trois règnes
caillou blanc ombilic racines
entortillent le tout
inséparablement
et là-dedans moi
un paquet de quoi
de quoi suis-je inséparable
(partir au loin)
des morceaux de corps partout
dans le chignon serré de radicelles
où est l’animal et la pierre où est-elle
Ainsi, qu’on parte de la pierre, de l’air ou de la nuit, le poème reste ouvert à toutes les autres formes de présence tant la sensibilité de Camille Loivier la dispose à saisir la prodigue et prodigieuse vitalité de ce qui en nous, autour de nous, existe et continue d’exister jusque dans sa disparition. C’est que la magie du poème permet à son auteur d’opérer, reprenant d’ailleurs là la formule déjà bien connue de Baudelaire, la fusion du sujet à l’objet, « le monde extérieur à l’artiste et l’artiste lui-même ». Ce qui permet à l’ici qui nous est montré, le mur de jardin par exemple dont on peut caresser la pierre qui par endroit s’incurve sous le poids de la terre qu’elle soutient, d’imaginairement se tendre vers le là-bas qu’on aura vu ailleurs et qu’il finira à son tour par être quand il s’écroulera et que le dehors entrera « avec une flopée de fougères de sangliers s’engouffrant dans la brèche ».
Focalisées, donc, plutôt que fragmentées, et suivant surtout la ligne d’une sensibilité funambule qu’on sent comme constamment alarmée, inquiète, les évocations de Camille Loivier sont toujours plus ou moins le lieu d’une tension. Tension existentielle qui fait qu’elles ne dégagent aucune sérénité d’ensemble. Sont plutôt toujours comme à l’épicentre aussi bien de quelque chose à retrouver, réenfanter, retenir que de quelque chose de fuyant, pourquoi pas menaçant, perdu. La parole du poète se glisse dans ces failles. Cherche à nous en faire éprouver le contact et les mains ici n’ont pas moins d’importance que l’œil. Ces mains d’ailleurs ne saisissent pas. Mais palpent, pressentent. Effleurent. Le dernier mot allant à la caresse. Celle qui fait tomber les fleurs.
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