Là où je n’écris pas[1], cet ouvrage de Christiane Veschambre que viennent de faire paraître les éditions isabelle sauvage, n’est pas un livre facile. N’est pas non plus ce livre tranquille qu’on pourrait attendre d’un auteur, d’une poète, qui, bénéficiant de la reconnaissance d’une bonne partie, celle qui compte, du milieu poétique actuel, pourrait dérouler ses poèmes se contentant désormais d’exploiter des formules éprouvées.
Non que les courts textes de Christiane Veschambre soient ici le produit d’une langue hermétique. Habités de références obscures, altières. Non. Derrière leur grande simplicité, disons, de langue, ils procèdent d’une écriture, d’une succession de tentatives d’écriture, dont l’espace véritable ne cesse de se dérober à la prise, tant de celle qui écrit que de celui qui la lit.
Ceux qui suivent comme moi le
travail de Christiane Veschambre depuis longtemps, en particulier depuis La
Griffe et les rubans, en passant bien sûr par Basse Langue, écrire,
un caractère, dit la femme dit l’enfant, savent que l’écriture pour
elle n’est en rien réductible à une simple technique. N’est en rien non plus
l’instrument de ce qu’on appelle toujours aujourd’hui, l’expression. Celle du
moi. Comme elle n’est pas non plus au service de la simple description des
choses. Non que le « je » en soit absent, ou bien les choses,
mais le « moi » comme les choses, ne composent pour
Christiane Veschambre qu’avec l’espace infiniment battant, s’ouvrant, se
refermant sans cesse, qui pour elle est celui de l’écriture, espace dans lequel
s’invente, au sens double du terme, se réinvente sans cesse, quelque chose de
notre vivant commun, de l’éprouvé de notre condition et de cet insatiable et
toujours insatisfait désir non de consolation mais de faire lien.
Victime apparemment comme elle l’écrit d’un « petit accident nucléaire cérébral » et parvenue comme beaucoup d’autres au soir de son existence, c’est sans « regret » que Christiane Veschambre voit son « je » s’éloigner, sentant venir à sa place, « peut-être ce qui n’a pas de place seulement une étendue inconnue ». Une étendue qui dans le livre accueille avec ses angoisses, ses peurs, aussi bien la joie de marcher dans ces forêts de l’Allier, plus précisément des Combrailles, près desquelles elle aime se retrouver, que le souvenir de sa mère, de sa grand-mère analphabète, de la jeune fille qu’elle a été, mais encore la présence d’un minuscule insecte circulant entre les mots qu’elle voit s’afficher sur son écran d’ordinateur. Sans oublier la boite de sardines qu’elle ouvre pour nourrir un couple de chats affamés…
Évocation alors d’une vie dans la quotidienneté d’un ressenti trop souvent douloureux. Peut-être. Mais là n’est pas, encore une fois l’essentiel. Qui pour la véritable poète qu’elle est, tout au fil de ses textes, est d’accepter de se laisser déloger de son moi, pour devenir ce Sujet de solitude ouvert à toutes les souveraines autant que souterraines présences du monde que la puissance alors de l’émotion nous rend capables de ressentir sans les rejoindre jamais.
[1] Ce titre à tous ceux qui ne seraient pas familiers de l’œuvre de C.V.peut avoir quelque chose de trompeur. Ce « là », dont il est question n’est pas le réel opposé au langage, vers lequel l’ouvrage fait pourtant constamment signe. Bien sûr on peut se contenter de le prendre comme cela. En fait cet espace est celui sur lequel, sans se lasser jamais, revient C.V., celui même de la langue, de l’écriture, mieux peut-être, de l’écrire, lorsque écrire nous déloge de notre moi conscient, de nos intentionnalités de surface, de nos ressources dites culturelles, pour au-delà des mots, permettre le surgissement, qui peut rester furtif, de quelque chose qu’on ressent dans les profondeurs mêmes du corps, d’une présence, illusoire peut-être, mais en soi nécessaire, de vie.
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