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vendredi 13 octobre 2023

DES SAUVAGES ET DES POILS. AUTOUR D’UN TABLEAU DE LAVINIA FONTANA.

Avril 1594. C’est une belle après-midi de printemps, à Bologne. Dans l’une des pièces de la vaste demeure que le savant docteur Aldrovandi a transformé en l’un des plus illustres cabinets de curiosités d’Europe, se tient une petite fille qui ne semble pas être âgée de plus de six ou 7 ans. Elle est venue en habits de cour. Elle qui  pourtant est la fille de ce qu’on appelait à l’époque, un sauvage, un guanche, un indigène des Canaries[1], dont une expédition l’a autrefois tiré quand il n’était encore qu’adolescent, porte en effet dentelles et broderies. Mais là n’est pas sa seule singularité. Antonietta Gonzalez, c’est le nom qu’on a donné à cette souriante poupée,  présente un visage hirsute, presque entièrement couvert de poils qui la fait ressembler à l’un de ces petits singes qui une bonne centaine d’années plus tard viendront à Chantilly, spirituellement orner le boudoir du rez-de-chaussée des appartements du Prince de Condé[2]. Un monstre ? Sans doute pas tout à fait aux yeux de ceux qui la possèdent et se la remettent en cadeau comme si elle n’était qu’un objet. Une de ces raretés plutôt, de ces amusoires, qu’il est de bon ton d’exhiber à ses côtés pour mieux se distinguer.[3]

mercredi 15 septembre 2021

SUR CE QUI RESTE DE NOUS DE FABIENNE RAPHOZ AUX ÉDITIONS HÉROS LIMITE.

« Syrinx[i] nous défie plus que langue », « ma langue c’est l’ennemie des langages nôtres » : sans doute peut-on partir de ces quelque peu déroutantes assertions pour comprendre dans ses grandes lignes l’enjeu non seulement du dernier livre de Fabienne Raphoz mais de sa relation tout entière au vivant. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. De notre extase de nommer, de notre extase de classer, de vouloir à toutes forces faire entrer le monde dans le tiroir des langues, et à l’heure où disparaissent les espèces, se réduit autour de nous le champ de la vie générale, de l’absurdité de continuer à empailler le réel que nous détruisons pour n’en conserver finalement qu’un souvenir figé[ii].

 

Au lieu de nous mettre à éprouver vraiment ce qui reste de nous[iii].  

 

vendredi 27 août 2021

VIE DU POÈME. PIERRE VINCLAIR. PIETRO LORENZETTI !

Je m’apprêtais à écrire quelque chose sur un reste frappant de fresque ayant échappé à ma vigilance au cours d’une récente visite de la basilique San Francesco de Sienne, rendue difficile par la chaleur écrasante du moment. C’est une sortie de tombeau représentant l’un de ces moments majeurs du grand récit christique, qui pour une fois ne cherche pas à insister sur la dimension miraculeuse, « surréelle », de l’évènement mais nous montre un Jésus comme sortant tranquillement de l’intérieur d’un palais, ramenant simplement de la main les plis d’un vêtement lui donnant un faux air de patricien romain et n’ayant plus de divin, de visiblement sacré, que l’auréole entourant un visage représenté de face que ne singularise qu’un regard atteint d’une énigmatique pointe de loucherie. Due à Pietro Lorenzetti encore, cette représentation du Christ ressuscité datant des années 1330 et qui est tout ce qui reste d’une fresque plus monumentale où se voyaient sûrement l’étendard de la résurrection dont le personnage tient encore solidement la hampe de sa main droite et le groupe de soldats romains dormants, habituellement représentés dans ce type de scène, tranche avec celles de son époque et celles aussi qui se multiplieront après. Qu’on pense par exemple à cette image qu’en donna l’Angelico dans l’une des cellules de San Marco où le Christ flotte au-dessus du tombeau vide sur lequel le groupe des quatre Marie, venues avec l’aloès et la myrrhe, se penchent incrédules. Celle plus fantastique encore de Grünewald à Issenheim, jaillissant cosmique, dans une sidérante explosion de lignes et de couleurs.