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mardi 18 février 2025

RETOUR SUR LES SENSIBLES COMMUNS.

Odilon Redon, L'Art céleste, 1894

 

Il y a de cela plusieurs années, pour tenter d’éclairer les discussions un peu vives provoquées par une réflexion[1] de Marie Alloy dans son bel ouvrage l'Empreinte du visible où elle soutenait en gros l’idée qu’on ne pouvait parler de la peinture qu’en poète, je proposais ces remarques tirées des réflexions d'une personne qui s'est beaucoup intéressée à l'expérience intuitive, Claire Petitmengin. Selon cette professeure et chercheuse en philosophie et sciences cognitives, nous vivons moins dans un monde d'images, de sons et de sensations tactiles, que dans un monde de formes, de mouvements, d'intensités et de rythmes, c'est-à-dire de qualités transmodales, transposables d'une modalité à l'autre, que le chercheur Daniel Stern appelle « vitality affects ». C’est cette transmodalité qui permettrait notamment à l'enfant d'expérimenter un monde perceptuellement unifié (où le monde vu est le même que le monde entendu ou senti). Ce serait elle aussi qui permettrait la résonance, l'accord entre deux univers intérieurs, base de l'intersubjectivité affective.

vendredi 17 janvier 2025

MARIONNETTES DE LA POÉSIE.


 

Bien. Je repousse depuis trop longtemps l’idée de dire quelque chose de ces livres qu’assez souvent je reçois et qui pour n’être pas dépourvus d’intérêt n’en sont pas moins, pour moi, éloignés de ce que personnellement je considère être de la poésie.

Souvent écrits par des êtres sensibles entretenant un généreux commerce avec la chose, qu’elles achètent, recommandent et déclarent volontiers placer au-dessus du reste, les livres auxquels je pense sont des ouvrages qui sous l’étiquette de la poésie se proposent de faire état des blessures personnelles que sous les formes les plus diverses, la vie ne manque pas de faire subir indistinctement à tous. De façon plus ou moins grave. Ces écritures qu’on peut dire de l’intime relèvent d’une forme d’autobiographie à vocation plus ou moins thérapeutique dont je m’en voudrais de nier l’importance.

lundi 14 octobre 2024

« POÈMES CLINIQUES ». MARELLE DE JULIA PEKER À L’ATELIER CONTEMPORAIN.

C’est un ouvrage au premier abord bien intéressant que celui que l’Atelier Contemporain nous offre aujourd’hui à lire sous le titre Marelle. On sait que la marelle, jeu très ancien d’enfant, est un jeu d’équilibre, jeu hautement symbolique aussi puisque partant d’une case au sol appelée Terre il n'y est question de rien moins que d’accéder finalement à cette autre case au bout qui figure le Ciel.

Julia Peker, l’auteur, est agrégée de philosophie et psychologue clinicienne. Elle exerce dans un Centre Médico-Psychologique où elle reçoit des enfants et des adolescents. Elle nous explique dans la postface de son livre que les poèmes qui y sont rassemblés sont des « poèmes cliniques » et que chacun d’entre eux « reprend une consultation menée avec un enfant ».

On pourrait juger sévèrement l’attitude qui consisterait à s’emparer de la matière fournie par le mal-être d’un autre pour produire un semblant d’œuvre chargé d’exhiber sa propre sensibilité. Ce n’est heureusement pas la démarche de Julia Peker qui aura bien compris le parti qu’elle pouvait tirer de l’écriture poétique. Non comme moyen personnel d’expression. Mais comme puissance ouverte d’exploration rendant possibles des formes de communication échappant à toute espèce d’enfermement. Car le poème ici est le support avec l’enfant d’un dialogue. D’une reprise qui vient inverser comme elle dit « la situation clinique, puisque là c’est moi qui m’adresse à lui et à un lecteur, à un autre ».

lundi 18 octobre 2021

ÊTRE DANS LA LUMIÈRE ! CONSIDÉRATIONS SANS DOUTE UN PEU VAINES SUR LE MANQUE DE CONSIDÉRATION DONT SOUFFRENT LES POÈTES.

 

Le métier de poète engendre bien des frustrations. Aspirant comme chacun et peut-être un peu plus que les autres, à la reconnaissance, le poète, qu’il soit non édité, mal édité, bien édité mais toujours trop peu lu, jamais invité, ou si peu, sur les grands tréteaux culturels du temps – c’est son lot – ne s’estime jamais à la place, éminente, centrale, à laquelle en son for intérieur, il aspire. C’est que, même si ce qu’il lui arrive de produire se révèle au regard objectif d’un intérêt modeste[1], il est de ceux qui éprouvent au-dedans d’eux cette fameuse « puissance d’art » dont parle Nietzsche, qui l’amène à se persuader, peut-être pas d’ailleurs totalement à tort, qu’il est plus amplement ou profondément vivant que l’immense majorité de ses pauvres semblables.

Certains, comme on le voit de plus en plus, en appellent à la puissance supposée des terrifiants réseaux sociaux pour, de like en like, se donner l’illusion d’être. D’autres, moins naïfs ou moins patients peut-être, se consolent du sentiment de mépris dans lequel ils étouffent, en vitupérant les éditeurs, les lecteurs, le bourgeois, le système, la vie même, quand ce n’est pas tout simplement leurs confrères, consoeurs, supposés n’être, par rapport à eux que de maigres faiseurs. Des imposteurs.

La vague toujours recommencée de cette « poésie bavardage » qui lèche de plus en plus aujourd’hui les plages communément indifférentes de notre lointaine attention ambitionne de faire entendre comme je l’ai par certains entendu dire, le flux d’énergie largement désabusée de notre époque dans la forme décomplexée que lui permet l’accumulation de toutes les licences modernes. Ainsi certains parviennent-ils à faire entendre un peu plus leur voix. Mais force est de reconnaître qu’au-delà de la sympathie que parfois peut inspirer leur auteur, les ouvrages ainsi produits ne produisent d’effets qu’éphémères et superficiels. Et que compte davantage ici l'essence même du discours - posture, caricature et présomption - que l’exigence proprement poétique d’inventer, recomposer, approfondir, à partir du langage, notre relation, à la fois singulière et commune, aux choses auxquelles nous nous trouvons tissés comme au monde sans cesse à redéfinir, qu’obscurs, nous habitons.



[1] Il nous faudrait sans doute admettre plus largement que nous ne le faisons qu’est souvent de peu d’intérêt ce que nous propose une partie de la production poétique actuelle qui comme l’écrit Prigent dans un passage de son Journal de 2020, à lire sur Sitaudis, ne relève que de la réplique narrative des phénomènes, de la déclaration d’opinions, de l’ornement rhétorique et du pseudo-supplément d’âme. J’y ajouterai pour ma part la bouffissure philosophique, la surintellectualisation de la pensée, les diverses formes de surévaluation moderniste rendues le plus souvent possibles par les postures et les positions intimidantes du moment… Mais bon, tout cela n’est peut-être que la conséquence ordinaire d’une démocratisation de la production artistique générale. Lautréamont ne réclamait-il pas que la poésie soit faite par tous. Je revendique moi-même le droit et affirme l’importance aussi pour chacun de mettre des mots qui lui soient propres sur la vie. Une parole. Peut-être alors que ce qui est en question c’est tout ce commerce de valorisation narcissique et de connivence généralisée autour de cette parole, cette grossière manufacture de l’attention et des échanges intéressés, par quoi chacun tente de remédier à l’absence de considération dont il se sent victime dans une société qui, c’est vrai, s’applique de moins en moins, à se montrer ouvertement curieux de l’autre.

 

 

mercredi 8 septembre 2021

SUR L’OUVRIER MORT DE YANNICK KUJAWA AUX ÉDITIONS INVENIT.

Pas facile de faire parler une œuvre d’art, de l’évoquer par les mots jusqu’à finir par lui donner une profondeur intelligible, une épaisseur sensible, nous permettant non seulement de la mieux voir mais d’en partager avec d’autres l’effet. La pluralité d’effets plutôt dont elle est bien entendu porteuse. Pas facile, certes, mais nécessaire car « si l'image, comme le dit la philosophe Marie-José Mondzain, est ce que l’on voit ensemble, elle ne peut se construire que dans les signes partagés par ceux qui voient, et ces signes sont ceux de la parole, des signes langagiers.[i] »

Ceux qui ont eu la chance de lire l’Esthétique de la résistance de Peter Weiss, savent pour y avoir découvert les commentaires de l’extraordinaire frise du Pergamon de Berlin, à quelle hauteur de pensée – esthétique et politique liées – peuvent atteindre les mots quand ils cherchent à comprendre vraiment ce qu’ont pu voir les yeux[ii].

On ne peut donc que louer une entreprise comme celle des éditions invenit qui avec leur bien nommée collection « Ekphrasis », offrent à de très nombreux auteurs d’aujourd’hui l’occasion de se confronter aux œuvres les plus remarquables de divers musées, des moins connus jusqu’aux plus prestigieux.

Installé dans le Nord, Dominique Tourte, le directeur d’invenit fait bien entendu la part belle aux institutions comme aux écrivains de sa région dont on ne dira jamais assez la richesse littéraire comme artistique.  Ainsi pour ce volume que Yannick Kujawa consacre à l’Ouvrier mort du peintre Edouard Pignon, conservé en dépôt au Musée des Beaux Arts de Lille.

vendredi 12 février 2021

RENCONTRE AVEC RYOKO SEKIGUCHI AU LYCÉE BERTHELOT DE CALAIS. L'INTELLIGENCE DE LA PAROLE.


Hier au lycée Berthelot de Calais, plaisir de renouer avec les rencontres en milieu scolaire, grâce à l’intervention de Ryoko Sekiguchi, venue échanger avec des élèves de Terminales dans le cadre de leur nouvelle spécialité Humanités / Littérature et Philosophie.

Bien sûr, elle a parlé des catastrophes de Fukushima que le hasard de ses voyages l’a amenée à mettre en parallèle avec la récente explosion du port de Beyrouth, ville dans laquelle elle a séjourné afin d’écrire un nouveau livre. Mais je retiens surtout ce qu’elle aura tenté de faire passer auprès des jeunes, à savoir le caractère essentiel, pour chacun, de la parole qui permet l’expression et la communication. En prenant l’exemple qu’on trouvera dans son dernier livre, Sentir, du chef de cave de la Maison Perrier-Jouet, qui pour élaborer avec son équipe le vin dont il a l’idée en tête, doit traduire ses sensations, son goût, ce qui sans doute existe de plus intime et de plus personnel, dans le vocabulaire le plus attentif et le plus précis possible. Seule façon, comme l’a montré le travail autour de l’image de quelqu’un comme Marie-José Mondzain, pour que du singulier devienne malgré tout commun. 

Mettre à travers ces rencontres l'accent sur l'intelligence de la parole, bien sûr de la parole habitée, celle qui cherche, et s'inquiète de construire une vérité partageable, celle qui justement permet, selon la belle formule de la philosophe Simone Weil, de rendre toute peine supportable, en l'élevant à la clarté, je vois peu de choses aussi nécessaires, auprès des jeunes aujourd'hui.