C’est un ouvrage au premier abord bien intéressant que celui que l’Atelier Contemporain nous offre aujourd’hui à lire sous le titre Marelle. On sait que la marelle, jeu très ancien d’enfant, est un jeu d’équilibre, jeu hautement symbolique aussi puisque partant d’une case au sol appelée Terre il n'y est question de rien moins que d’accéder finalement à cette autre case au bout qui figure le Ciel.
Julia Peker, l’auteur, est agrégée de philosophie et psychologue clinicienne. Elle exerce dans un Centre Médico-Psychologique où elle reçoit des enfants et des adolescents. Elle nous explique dans la postface de son livre que les poèmes qui y sont rassemblés sont des « poèmes cliniques » et que chacun d’entre eux « reprend une consultation menée avec un enfant ».
On pourrait juger sévèrement l’attitude qui consisterait à s’emparer de la matière fournie par le mal-être d’un autre pour produire un semblant d’œuvre chargé d’exhiber sa propre sensibilité. Ce n’est heureusement pas la démarche de Julia Peker qui aura bien compris le parti qu’elle pouvait tirer de l’écriture poétique. Non comme moyen personnel d’expression. Mais comme puissance ouverte d’exploration rendant possibles des formes de communication échappant à toute espèce d’enfermement. Car le poème ici est le support avec l’enfant d’un dialogue. D’une reprise qui vient inverser comme elle dit « la situation clinique, puisque là c’est moi qui m’adresse à lui et à un lecteur, à un autre ».
Mais l’intérêt du poème ne réside pas dans cette seule inversion. C’est la nature même du langage poétique qui est ici convoquée pour prolonger dans ses dimensions propres le travail thérapeutique. Julia Peker l’explique de façon pertinente en insistant sur la façon dont le texte poétique introduit du « jeu dans les coordonnées symboliques serrées des enfants » et peut alors permettre de « déployer chez eux une créativité psychique » leur rendant potentiellement « une petite marge de manœuvre ». C’est que comme l’écrit Jean-Louis Giovannoni qui signe la préface du livre « la poésie, en ne suivant pas les chemins imposés par les constructions langagières discursives, travaille directement avec les parts invisibles de notre psychisme […] et devient un moyen de sentir et de voir autrement ce que chacun porte en soi de dicible ou d’indicible. »
« Il fait plus clair quand quelqu’un parle ». Il y aurait beaucoup à dire sur cette phrase si souvent reprise de Freud. Tant il existe de paroles trompeuses, quelquefois même mortifères. Mais il est vrai que certaines éclairent. Que cette clarté parfois aide à supporter des peines. À s’affranchir un peu de certaines angoisses. La parole poétique quand elle est vraiment poétique c’est-à-dire ouverte, attentive et sensible, est de celles, finalement assez rares, qui font parfois du bien. C’est le mérite du livre de Julia Peker de nous en fournir, à sa façon singulière, une preuve nouvelle. Et de renforcer en chacun l’équilibre dont nous avons besoin pour avancer. Aller vers un peu plus de Ciel sur les marelles de la vie.
EXTRAIT
CHROMATIQUE
Blottie dans un dégradé de roses
tu me parles de jours heureux
tes rires abritent pourtant des doutes
tes gestes pleins d'entrain
contiennent à peine tes mains
qui s'accrochent à ta feuille
je ne cherche pas
à mettre à nu ta chair pâle
sous cette armure éclatante
plus d'herbe ni de ciel
de tes doigts coule un sang noir
tu traces de longs barreaux
consignes les couleurs de la vie
introuvables
tes yeux esquivent toute question
tu dessines un ailleurs sans haut ni bas
dont tes lèvres agitées ne peuvent rien dire
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