vendredi 11 octobre 2024

CURIOSITÉ. LA POÉSIE DES FRUITS DANS LA CULTURE ITALIENNE DES DÉBUTS DE LA RENAISSANCE.

Composition réalisée par GG à partir de diverses toiles de Bartolomeo Bimbi

 

Cherchant à en apprendre un peu plus à propos de ce Bartolomeo Bimbi (1648-1729) qui m’aura conduit à l’écriture de mon précédent billet, je tombe sur l’intéressante publication de l’historien Allen Grieco, Directeur de recherche émérite à la Villa I Tatti, centre d’études de la Renaissance italienne de l’Université d’Harvard à Florence.

En voici un extrait, en relation donc avec cette caractéristique très particulière de B. Bimbi de peindre sur ses toiles le plus grand nombre de variétés de fruits, citrons, pommes ou figues, en indiquant avec précision la façon dont elles sont nommées.

 

Les poètes italiens de la fin du XIVe et du XVe siècles s'intéressaient d'une façon particulière aux fruits. Le nombre de poésies, de sonnets, et de tensons qu'ils leur ont dédiés montre bien l'importance attribuée à une denrée alimentaire qui était avant tout un signe de richesse et de puissance.

[…]

Les textes du début du XVe siècle qu'on peut attribuer aux canterini de Florence sont constitués de strophes de trois lignes. Les poètes — dont on connaît seulement le nom — au lieu de décrire les différentes caractéristiques des fruits en question, se lancent dans une liste, très peu commentée, des différentes variétés connues d'un même fruit. Ces listes peuvent atteindre des dimensions imposantes. Ainsi, dans la poésie de Pietro Chantarini de Sienne, on trouve le nom de sept variétés de raisins, onze variétés de poires et jusqu'à quinze variétés de figues [1]. Et pourtant, il ne faut pas croire à un artifice purement littéraire car, dans le même endroit où on récitait ces poésies, on servait les fruits dont elles parlent. Les comptes de la table des seigneurs de Florence, tout en restant laconiques, montrent que la grande variété de fruits mentionnée dans les poésies était reproduite à table. Ainsi, par exemple, les poires « sanichole » et les « rugine », tout comme les pommes « apiuole » et « chalamagnie », se trouvent aussi bien dans la poésie de Pietro Chantarini que dans les comptes de la table des seigneurs.

Bartolomeo Bimbi, melegoli, cedri e limone 1715

 

Il ne faut pas oublier que, partout en Europe, les fruits étaient une denrée alimentaire de luxe qui n'apparaissaient que sur les tables des riches et des puissants. En ceci la table des seigneurs de Florence n'était pas une exception, au contraire elle achetait des fruits frais et secs en grande quantité. J'ai montré ailleurs que les prieurs de Florence dépensaient environ 10 % de leur budget alimentaire pour acheter des fruits et que, pour les banquets, ce pourcentage pouvait s'élever beaucoup plus. Or, l'intérêt que la mensa portait aux fruits n'était guère exceptionnel, des achats semblables se faisaient à la table de la cour de Bourgogne au XV* siècle et dans les banquets des confréries espagnoles de la même époque.

Les fruits étaient une denrée alimentaire qui pouvait atteindre des prix importants surtout en début et en fin de saison mais, surtout, c'était une denrée à laquelle on accordait des titres de noblesse. En poussant loin de la terre, les fruits avaient fait l'objet d'une longue « digestion » des principes terrestres absorbés par les racines, « digestion » que les légumes, par exemple, n'accomplissaient pas puisqu'ils restaient trop près de la terre. Cette sublimation du terrestre, toujours très apparente dans les textes agronomiques de l'époque peut nous aider à comprendre pourquoi les poètes voyaient dans les fruits un sujet digne de la table des seigneurs de Florence.

Allen J. Grieco. Les fruits dans la poésie italienne du XVe siècle, Médiévales Année 1989 16-17 pp. 131-146. À lire sur Persée : https://www.persee.fr/doc/medi_0751-2708_1989_num_8_16_1143



[1] Voir : « Fichi d'ogni maniera più sobrana : bianchi e castagnuoli e botantani, cigholi e fichi sechi a la toschana ; E picioluti, ucedegli e pissani, perugin, badalon, grossi e menuti, neri, corbini, sanghuegni, romani..

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