jeudi 10 octobre 2024

SUR QUOI PORTER NOTRE ATTENTION. À PROPOS DU TRAVAIL D’UN PEINTRE MÉCONNU, BARTOLOMEO BIMBI.

 

À une grosse vingtaine de kilomètres au Nord-Ouest de Florence, dans la province de Prato, se visite aujourd’hui la superbe villa médicéenne de Poggio a Caiano. On est confronté à tant de beautés et de curiosités historiques dans Florence qu’on ne trouve malheureusement pas toujours le temps ou le courage de sortir de la ville pour se rendre en ce lieu.

La villa des Médicis à Poggio a Caiano n’est pas seulement l’endroit où j’aurai pu admirer l’extraordinaire lunette peinte par Pontormo dont j’ai fait ma carte de vœux de l’année qui se termine, elle présente également au second et dernier étage un ensemble de salles dévolues à la nature morte, expression qui toujours me hérisse tant elle présume que rien au monde ne serait réellement vivant en dehors de nous.

Relativement récente cette collection de quelques 200 pièces jusque là pour la plupart condamnées à l’obscurité des réserves des deux éblouissants musées des Offices et du Palais Pitti permet à la plupart des visiteurs de s’étonner de la singularité du travail d’un certain Bartolomeo Bimbi, peintre toscan de la seconde moitié du XVIIème siècle qui s’attacha dans nombre de ses toiles à reproduire côte à côte les caractéristiques propres à diverses variétés de fruits, citrons, figues ou par exemple ici pommes.

Disposées face au regardeur, une réunion d’une grosse centaine de personnages issus du règne végétal prend la pose, installés soit sur un plat de faïence, soit bien répartis des deux côtés de l’anse d’un panier, soit de façon décroissante directement en pyramide sur une table sombre se détachant sur un fond de boiseries qu’anime l’ouverture - en grande partie cachée par le tombé d’un rideau de théâtre – d’une fenêtre donnant sur un crépuscule de collines violettes et noires.

En représentation, donc, une Compagnie de pommes. Une Ronde de nuit des pommes, même, n’était - tout génie pictural bien entendu mis à part - l’absence du surgissement, en longue robe jaune, un poulet qu’on dirait presque vivant encore, à sa ceinture, de l’épouse disparue du peintre d’Amsterdam[1].

Les clients de Rembrandt, car c’est bien de clients qu’il s’agit, comme ceux de ses principaux collègues – Pickenoy, Flinck, Backer, sans oublier le plus impressionnant sans doute d’entre eux Bartholomeus van der Helst à qui l’on doit l’immense tableau célébrant la Paix de Münster - qui comme lui peignaient ce même genre de tableaux, se rendaient l’un après l’autre à son atelier. Qui en habit de ville, qui accoutré, harnaché, empanaché au gré de son caprice. Le peintre prêtait au besoin sur place un morion, un morceau de cuirasse, plaçait à leur côté ses étoffes, projetait sur leurs épaules des chutes de drapeaux… Il faut imaginer au contraire Bartolomeo Bimbi en homme d’autrefois tout mélangé comme dirait Giono et de champs et de bêtes, parcourant les campagnes, arpentant les vergers des belles villas patriciennes. Interrogeant. Notant. Croquant aux divers sens du terme ces fruits qu’à la demande du Prince Ferdinand de Médicis qui souhaitait en décorer ses nombreuses villas nichées parmi les collines toscanes, il reporterait plus tard sur ses toiles, accompagnés de leur nom.

Car, je ne sais rien de Bartolomeo Bimbi. Il n’existe apparemment aucun portrait de lui. Rien qui sur l’ensemble de la toile en dise davantage que sa notice sur Wikipédia, qu’on retrouve à l’envie pillée. Mais j’aime qu’à nous qui sommes aujourd’hui bien plus prompts à reconnaître l’identité d’un joueur de football ou d’une vedette de téléréalité que celle d’une simple mais bien moins éphémère variété de fruit ou de légume, il témoigne à côté d’autres artistes souvent plus connus, d’un temps, d’une civilisation, d’un milieu, d’un esprit, qui aura su porter sa curiosité, son attention sur la réalité physique d’un monde où une touffe d’herbes (Dürer), l’aile d’un papillon (Joris Hoefnagel), la peau duveteuse d’un coing (Zurbaran), toute une Compagnie de pommes[2], peuvent se révéler aussi merveilleuses au regard que le sourire d’une Madone ou la courbe du bras d’une déesse antique.



[1] Je veux simplement renvoyer par là au caractère disons paradoxalement « intime » de la Ronde de nuit où Rembrandt ne s’est pas contenté de se représenter sous la forme d’un œil ouvert mais aurait selon certains spécialistes représenté aussi divers membres de sa famille malheureusement disparus.

[2] B. Bimbi en énumère 52 variétés sur la liste qu’il place au premier plan de son tableau. J’en profite pour noter qu’à l’origine, en 1642, la toile originale de Rembrandt à laquelle je fais référence était quant à elle surmontée d’un cartouche indiquant le nom des principaux personnages par lui représentés.

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