mardi 25 février 2025

DEUX NOUVEAUX LIVRES DE VALÉRIE ROUZEAU À LA TABLE RONDE.


 

Bien reçu aujourd’hui les petits oiseaux de la petite dame. Avant de parler du tout dernier je ne peux m’empêcher de revenir sur ce Vrouz qui reparaît donc aujourd’hui dans la collection de poche des éditions de la Table ronde et que je ne saurais trop inviter chacun à lire comme à relire.

Ah ! que la vie est quotidienne […]

Non ! vaisselles d’ici-bas

Jules Laforgue Les Complaintes

 

Dans le monde de l’écriture poétique contemporaine, Valérie Rouzeau occupe une place très particulière. Elle apparaît comme une sorte de phénomène où se concilieraient à la grande satisfaction de nos plus anciens préjugés d’école, l’œuvre d’un côté, la vie de son auteur de l’autre. On aime chez Valérie Rouzeau cette impression qu’on a, quand on la voit, d’un être totalement raccord comme on dit, avec celui qu’elle nous donne à imaginer dans chacun de ses livres.

C’est que si Valérie Rouzeau bénéficie d’une culture poétique hors du commun, elle qui a fait de la poésie depuis toujours son univers, publiant son premier livre à l’âge de 22 ans, elle sait dans ses textes, en dépit de tout ce qu’ils comportent d’inventions techniques, de renvois culturels, de jeux musicaux, d’acrobaties de toutes sortes, donner à chacun la généreuse  illusion qu’elle s’y abandonne moins aux pouvoirs de la littérature qu’à l’empire de la vie. Valerie Rouzeau ? Oui. La vie même.

C’est vrai que de sa vie, l’œuvre de Valérie Rouzeau nous livre, en apparence, pas mal de choses. S’autorisant par exemple dans VROUZ à descendre jusqu’aux détails les plus triviaux telle la « petite crotte surnageante disparue des vécés » marquant le passage appliqué de la femme de ménage d’un hôtel de province où la nécessité de gagner sa vie en multipliant rencontres et ateliers l’a fait temporairement jeter son bien léger bagage (p 50). Le lecteur découvre ainsi au détour des poèmes tout un fond d’existence précaire, fortement solitaire en dépit ou à cause de l’insistante agitation des jours. Trains. Avion. Métro. Toujours en route. Trop rarement posée. Avec le corps aussi, pas seulement le cœur, qui à la fin regimbe. Et puis craque.

L’image qui ressort finalement au fil des pages ne sera pas sans conforter celle attendue que la plupart des lecteurs se font toujours aujourd’hui du poète. Celle d’un être sensible au pittoresque comme à la fantaisie des choses, pas trop bien adapté à la modernité, compatissant avec les faibles, en révolte contre l’ordre bourgeois, rejetant les carcans administratifs, ironisant à propos des puissants, de lui-même, porté sur l’amitié, la bouteille, regrettant parfois ses excès… qui viendrait balader sa sensibilité, sa vulnérabilité au cœur des paysages pas toujours bien humains, un peu ratés, chahutés, de nos vies quotidiennes.

Toutefois, la réussite de Valérie Rouzeau ne doit rien à ce qu’on pourrait appeler sa fidélité biographique. Mais bien à cette façon qu’elle a de couler cette figure relativement traditionnelle du poète avec sa grande fatigue et son émerveillement toujours un peu découragé d’être, dans une langue énergisée, réjouissante, alerte, s’autorisant à peu près toutes les libertés. Comme l’écrit Jacques Demarq dans son bel article sur POEZIBAO , il y a chez Valérie Rouzeau une vitalité débordante, une sorte de lâcher-tout terriblement maîtrisé dans ses livres qui rend presque jubilatoire les petites platitudes (p 148), les détresses (p 46), comme les gros accidents (p 19) qu’elle rapporte. Qui fait en tout cas que quelque chose chez elle en profondeur résiste. Redonne à la vie du relief. Et comme un soulagement. Celui de savoir que l’art, les petits bonheurs de la création, ses surprises, au sens presque enfantin qu’on peut donner au terme, conduisent bien au-delà des frontières souvent déprimantes de la vie matérielle ou de la vie sociale. Que le poème aussi fait maison. Qu’il ouvre à qui sait l’habiter, d’autres et plus belles fenêtres. D’où nous pouvons voir la vie. Dans toute sa difficulté. Dans toute sa douleur. Certes. Mais la vie augmentée.

Voila. On devrait retrouver, je crois, avec LA PETITE DAME, cette Valérie dont je parlais lors de la sortie de VROUZ, il y a quelques années. À preuve ce court poème pris au hasard des pages :

La petite dame bien souvent rame

Elle ne sait quand ni pélican

Ni comment ni cormoran

Certains jours sentent le poisson pourri

Avant même la reprise du frémissement

De l’eau qui attire jusqu’aux moustiques tigres

Valérie bien souvent se marre

Claque des doigts tape du pied désarchive l’écumoire

Qui date au moins de la bourrée à sept sauts

Joyeuse drôlerie

Du Berry natal Pays-Fort vers Sancerre en France

Sur la Terre

 


VOIR AUSSI NOTRE LIVRET SUR QUAND JE ME DEUX POUR LE COMPTE DU PRIX DES DÉCOUVREURS 2022-2023 : https://drive.google.com/file/d/16mSIzf32tiXixUOGwLQa4yoj13n5aSJv/view?usp=sharing

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