Des nouveautés en nombre ce mois-ci dans la Collection Littératures de l’Atelier Contemporain.
La première, La douceur rouge des étoiles, signée de Laurent Fassin qui s’y voit accompagné de peintures de Benoît de Roux, a pour ambition de rapprocher la poésie de la musique en substituant notamment à ce qu’on a coutume d’appeler ses blancs, terme pictural, ce que l’auteur, lui, veut appeler silence. Le poème s’entend alors comme partition susceptible « sans renoncer à l’horizontalité qui préside à son essor, reconduite de ligne en ligne et vers après vers », de se donner un caractère, à sa façon, polyphonique. Deviendrait ainsi possible « une lecture à double entrée, horizontale et à la fois verticale, reconnaissant au poème une étonnante capacité à se métamorphoser sans cesse ». Cela bien sûr n’est pas absolument nouveau mais convient plutôt bien à ces évocations en partie fugitives des multiples absences, rougeoyantes solitudes et fragiles éclaircies qui composent avec insistance, le monde en profondeur ouvert, en constant mouvement et tension qui fait ici entendre ses voix.
La houle frisant le fleuve
de ses silhouettes grises
rendant les armes soumises
traverse chaque jour
d’une rive l’autre
le pont
S’élèvent à son passage les mouettes qui ponctuent
et un instant effacent
le ciel
Cela leur partition les nuages et le vent
Je passerai vite sur Terre, suite de textes d’Albane Gellé, accompagnés des compositions à la fois fluides et sensibles de Nelly Buret. Projetant de mettre toute sa sensibilité à explorer, à travers une série de court textes en vers libre, le vaste champ de réalités que désigne pour nous le mot terre dont on sait bien la confondante polysémie, Albane Gellé, par un changement continu de focale enchaine ici des vignettes qu’elle fait défiler sous nos yeux à la manière un peu des anciens dioramas. Ce n’est pas désagréable mais les vues ainsi retenues se montrent trop souvent faciles, l’ensemble, sur le plan poétique, se révélant malheureusement au final, sans véritable surprise.
Terre demeure dernière demeure
accueillant corps, vieillis ou pas
corps enterrés
dans de petits ou grands cimetières
tombes et caveaux en plein soleil
ou bien à l’ombre de quelques cèdres,
cyprès, fusains
et d’autres arbres.
Terreau de feuilles, terre de bruyère
dans les narines les senteurs
des mille filets de champignons
entrecroisés, et qui s’étendent
sous les racines de nos chers arbres
et maintenant, miracle
voilà qu’arrive dans l’humus
la mycorhize.
Terre puzzle de continents, calottes glaciaires,
mers et lacs, sans compter fosses
océaniques, fleuves et rivières, volcans montagnes,
déserts de sable, autres déserts, centaines d’années
pour celui-là sans plus une goutte
d’eau de la pluie.
Pages 24, 25 et 61
La terre, on la retrouve dans le livre, plus consistant, de Jacques Moulin, Carnet d’Yport. Dans une grande diversité de formes, une attention quasi constante à la langue, aux toponymes, aux lexiques les plus précis par quoi se nomme inépuisablement le monde, l’ouvrage rassemble des textes par lesquels ce poète discret entend dire ou plutôt continuer à dire ce qui l’attache à ce pays cauchois d’enfance où après de longues années vécues à l’autre bout de la France, à Besançon, il vient, y ayant fait l’acquisition d’une maisonnette avec cour-jardin, de reprendre quartier (p. 38-39). Certes cela, qui ne s’en cache pas comme l’indique bien le titre, fait plus carnet que livre si l’on entend par livre quelque chose de l’ordre d’une totalité englobante venant réordonner supérieurement le sens. C’est à la fois riche, profus et dispersé ce qui bien prête à lectures randonneuse ou vagabonde. Se dessine alors, pour nous, à côté d’un vivant, précis et traversant paysage, appréhendé dans ses multiples dimensions et d’espace et de temps, familial comme archéologique, l’amicale présence d’une sensibilité tout autant nourrie d’œil, de souvenirs intimes que de toute une culture non seulement littéraire et artistique, mais encyclopédique. Pour moi qui suis d’une assez proche région et qui n’ai pas fini de remâcher comme l’auteur mes souvenirs d’enfance, entre mer et campagne, falaises et jardins, dans une France non encore vouée aux abstractions technologiques, la lecture de ce livre, Carnet d’Yport, est loin de ne me donner qu’un médiocre plaisir.
• La bruyère sous la fougère
L'épine sous le conifère
L'araignée sous le photinia
Le broyat sous le camélia
Le caillou sous le rosier
Le cloporte sous le lilas
La feuille morte sous l'arbre
Et ma main qui fourrage
• Cinq fougères et fougeroles habitent le jardin. Une petite fougeraie domestique en ses bordures. La feuille est coriace défend son triangle et le rhizome tient bon. Il y a mâle et femelle qui font chanter les noms sore sporange indusie. Les mots infusent longuement dans leur pli.
Fougueuses au printemps elles fusent et fouillent l'espace dans la grâce souple d'une palme qui palpe l'air. Les yeux des fougères sont d'un vert pur et pétillent au parterre. On dit que ça fait danser.
• Ce qui surprend c'est toute la vie présente dans l'interstice — fissures de pierre fentes de brique creux de silex joints défaillants — un foisonnement minuscule et intense. Un temps qui s'espace. Beaucoup de cloportes des mille-pieds quelques araignées enfouis surgissant sous la main qui désherbe. Du vivant en légion qui n'entre en contact que par l'effraction de la main dans la retraite active. Jusqu'aux Enfers peut-être.
• La falaise comme une mie de pain durcie qui prend langue avec la mer emportant sur son dos quelques capsules de lin.
• On aimerait accrocher le lin avant rouir à l'étendoir des falaises. Le laisser brunir à l'ocre des argiles, Célébrer la fin des terres.
• Il va tous les jours caresser le lin, Reprend lin comme on reprend langue chaque jour avec son prochain — il dit son plateau.
—J'vais aux cheveux, Ça a dû encore s'allonger. Leurs centimètres poussent vite. J'prends la toise.
Il fait un geste de drapier levant la toise au ciel. La toise sur la haute toison des champs. Sur le bleu d'une floraison. Sur la filasse en devenir .
Pages 152-153
Il y a des jours où je regrette de ne pas avoir prolongé la belle
aventure, je crois, du Prix des Découvreurs. J’y aurais à coup sûr intégré ce
dernier livre de Jean-Pascal Dubost, tant il me paraît être utile à son époque.
Utile je veux dire humainement. Aidant à mieux nous connaître tel qu’en réalité
nous sommes, à travers la façon dont nous considérons, traitons, nous les
hommes, l’ensemble du vivant, avec lequel nous n’avons toujours pas appris à
partager le monde. Animaleries dans cette langue très personnelle qu’on
connaît à l’auteur, langue non pas
archaïque, mais puissamment réactivée par le contact qu’en permanence elle
maintient, en en jouant, avec ses médiévales comme avec ses plus contemporaines
et plus vives racines, se présente comme un bestiaire d’abominations. Celles
des mille et une monstruosités que nous faisons subir à l’animal. Aux animaux. Que
ce soit pour l’égoïste satisfaction de nos besoins matériels, ou pour en faire
l’instrument ou l’objet de nos divers plaisirs. Du Poussin broyé au Cerf
courru-curé, en passant par le Taureau gladiateur, le Mouton
délainé, la Baleine usine, le Cheval rebut ou le Homard
hurleur, ce sont plusieurs dizaines d’animaux dont Jean Pascal Dubost dresse
dans la première partie de son livre le martyrologe, ne faisant grâce à son
lecteur d’aucun des horribles traitements qu’à plaisir nous leur infligeons.
Fruit d’une légitime émotion ces textes dont leur auteur a bien malheureusement conscience que l’inventaire qu’ils dressent de la souffrance animale bien loin d’être complet, pourrait être poursuivi ad infinitum et ad nauseam, sont tout autant nourris de compassion que de colère. Colère bien entendu dirigée contre, reprenant ici le mot de Montaigne, cette déplorable présomption nous faisant depuis si longtemps accroire que nous sommes les maîtres de la Création et pouvons traiter nos frères animaux comme des objets, des choses. Au rebours de la formule connue l’auteur incite donc les âmes sensibles à ne surtout pas s’abstenir de nous contempler dans ce miroir très précisément documenté qui nous révèle une face fort peu glorieuse de notre véritable nature, n’hésitant pas à détourner la célèbre formule de Rabelais en affirmant quant à lui que le pire est le propre de l’homme.
L'âne suisse
Ainsi comme maintes et moult autres bêtes à quatre pattes ou deux ou sans,
l'âne est un couteau suisse : ça sert à tout :
éthiquement pompée bio, l'ânesse produit le lait destiné à cosmétiquer l'animal humain de savon, de gel et de crème de douche, de shampoing, de soin cheveux, de lait hydratant, de gommage et de crème visage, car enfin quoi est bon prétexte que depuis l'Antiquité c'est ainsi, ce qui justifie tout,
si les anciens le faisaient, c'est xé juste,
et puisque «fidèle et courageux, l'âne travaille beaucoup et s'adapte bien aux différentes tâches dans le domaine viticole pour le débardage, technique consistant à transporter des arbres abattus depuis leur lieu de coupe jusqu'à un dépôt »
qu'il est aussi bon à tracter calèches à touristes ou à en porter sur son dos souventes fois très-plus-lourds que les 21% vétérinairement recommandés (50 kg max) pour randonnées longues
à la Stevenson traversant cévenoles contrées en faisant souffrir Modestine la martyrisant en la bâtant lourdement d'un « monstrueux chargement » et lui appliquant le « bâton du commandement » et lui « cinglant les côtes sans cesse », maltraitant « cet animal résigné », baudet bourriquet, et parfois « en pleine figure »
(lecteur, relis la moleste façon comment l’Écossais traverse les Cévennes en causant grieves molesties et peines à l'ânesse)
équalment comme touristes sur l'île grecque de Santorin fouettant jusqu'à l'os sans relâche des bêtes épuisées d'avoir grimpé 5 fois 500 marches sous le cagna, mais encore
mais encore, il fait un sauciflard à l'âne corse industriellement venu d'Amérique du Sud,
par quoy ces travailleurs invisibles peuvent invisiblement tout faire et servent à tout et en somme,
la bête dite bâtée est male bâtée de cruauté humaine
Scholie - "S'il vous plaît, quand vous partez en vacances, ne montez jamais sur le dos d'un âne ou de n'importe quel autre animal. Et faites en sorte que votre plaisir ne passe pas par le sacrifice ou l'asservissement d'un être vivant qui n'a rien demandé" (Nili Hadida, chanteuse du groupe Lily Wood & The Prick)

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire