lundi 10 novembre 2025

IVAR CH’VAVAR SUR LA PLAGE DU MONDE AUX ÉDITIONS LURLURE : UN MONUMENT !

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Difficile de rendre compte d’un tel livre. Tant il offre matière à sentir, éprouver et penser. Que ce soit humainement, je veux dire de sa propre prison de chair et d’aspirations, historiquement, je veux dire là du point de vue de l’histoire de notre poésie et de notre culture, ou encore esthétiquement voire politiquement… J’ai renoncé à tout dire. Heureux déjà si cette présentation pouvait en inciter quelques uns, quelques-unes, à aller voir plus loin qu’ils ou elles en ont, me semble-t-il coutume. 

Parlerai-je de monument ? Faisant soi-même anthologie de ses propres textes, reprenant ainsi au passé une part de ses charges affectives, de son affirmative quoique inquiète vitalité, pour en attester une dernière fois l’existence, entreprenant du même mouvement, l’ultime célébration d’un lieu, Berck, d’un compagnonnage, d’une langue, d’une culture, d’un engagement s’étant efforcé, malgré l’impossible de la chose, de rassembler en poésie comme tout l’être du monde, oui, on peut sans trop hésiter le dire, Filles bleues d’Ivar Ch’Vavar constitue bien un monument.

En soixante-quatorze textes qu’il dit avoir arraché de ses publications antérieures, chiffre qui soit dit au passage correspond à l’âge aujourd’hui de l’auteur, Ivar Ch’Vavar fait ici se déployer sur la page un long poème continu. S’y retrouve à l’évidence rendue, cette persistante et terrible volonté de faire foule avec le monde, faire corps avec lui, jusqu’à ce que le visage de l’autre s’imprime sur sa propre cuisse !  qu’il devienne Evelyne Nourtier ou qu’Evelyne Nourtier devienne à son tour lui, répète le geste plongeur de l’américaine Sylvia Plath, que l’anglais devienne picard, le picard se mette à revendiquer l’universel, tandis que Berck, sa plage, se fait le cœur vibrant du monde. Où se rassemblent toutes les énergies cosmiques. Où pulsent de partout les présences. Les attentes aussi.

Comme le Baudelaire justement des Foules, mais plus largement que lui, plus librement surtout en termes d’écriture, Ivar Ch’Vavar semble tirer «une singulière ivresse de cette universelle communion », une « jouissance fiévreuse » de la recherche de cet être là du monde, de « cette ineffable orgie » qui le conduit loin, toujours comme dirait Baudelaire, de tout enfermement.

Alors, que l’on marche en bande, vers la mer, quelques « pils dans l’coco », ou seul, l’été, l’hiver, le jour, la nuit, sur « la plage du monde », le long poème d’Ivar Ch’Vavar fait palpiter ses couleurs, poussées parfois jusqu’à leur paroxysme. Y faisant défiler sa théorie de filles bleues, réelles et imaginaires, figures avant tout de cette beauté, fuyante aussi bien que proche, impossible à retenir et étreindre. Le poème ici devient, bien éloigné de sa correction ordinaire, une action organique. S’efforçant, par mille et une stratégies de vers, de comptes, de rythmes, de ruptures, de capter du réel par l’affect. Un réel d’avant le bon goût. Les insidieux épurages des conventions. Laissant sa chance au trivial, à l’obscène, au brutal, au grotesque. Le réel oui, tout cru. Mais vivant.

Bien que, comme dans une toile d’Ensor, cet autre obsédé des plages, des longues plages du Nord, la mort jamais ne soit très loin. Qui d’ailleurs accueille quasiment le lecteur dès les premières pages dont Ch’Vavar dans son appareil bien à lui de notes, prétend qu’elles sont inspirées des Vers de la mort  de Hélinand de Froidmont, écrits dans le Beauvaisis à la fin du XIIème siècle. C’est elle qui apparait aussi à la dernière page du texte sous l’apparence d’une mouette empaquetant dans un pan de papier cristal, le poète au-dessus duquel elle vient lancer son « vieux cri ».

En attendant, la mer est là. La plage. L’esplanade. Le ciel aussi. Avec ses soleils, ses lunes, ses étoiles, ses vents. Ses couleurs qui chamarrent. Ses odeurs qui saisissent et vous trempent, vous excavent. Et les filles là-dedans, sont bleues. Bleues non pas d’idéale et d’angélique ou mariale beauté, mais dans toute l’ambivalence d’une couleur qui dit aussi le froid. Celle aussi du cadavre que toute vie, étant d’abord matière, porte en soi. Dans sa puissance d’exister. Et finalement de disparaître. Et c’est de cet opéra là, de cette incessante et exigeante confrontation de la finitude de nos matières humaines avec l’immensité plus durable du monde, dans la pleine et douloureuse conscience de l’altérité fondamentale de son être, condamné à ne pouvoir jouir en fait que d’illusoires épiphanies, que le poème tire sa force. Comme mer lui aussi. Et plage. Relançant sans cesse, assisté de la foule impressionnante de ses hétéronymes, son inépuisable mouvement. Et qui n’est chaque fois ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. Dans le débordement toujours de ses matières, ses glaires propres, son cerumen. Amen !  

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