mardi 7 décembre 2021

POURSUIVRE L’ESPÉRANCE. VIE DE Mlle. AMANDINE DE JEAN GIONO.

J’ai mis longtemps à m’attacher à l’œuvre de Giono. Que je considère désormais comme un auteur majeur pour notre temps. J’ai relu récemment certains des textes de son recueil l’Eau vive et me suis arrêté en particulier sur un court récit composite à ma connaissance trop rarement évoqué, Vie de Mlle Amandine, dont les 3 parties écrites, semble-t-il, entre 1932 et 1934, auront été isolément publiées dans diverses revues avant d’être rassemblées dans un tout. C’est beau. C’est fort. Et j’aurais très envie d’en tout citer ici, qui redonne espérance sans jamais rien nous cacher des tristesses et des lourdeurs de la vie. Ah ! ces passages sur la poussée de la graine et celle imaginée « plus terrible sans doute, à cause de la masse, de la force, du temps accumulé dans le moindre geste », de la pierre…

Ah ! ce rite sacrificiel du chamois qu’on dépèce et qui n’est rien autre que le dieu Pan lui-même. Et l’histoire au milieu bouleversante et merveilleuse de Mlle Amandine qui reproche au narrateur français, elle qui vit dans la montagne suisse, que le trésor littéraire de son pays ne comporte pas de livres remèdes. De livres qui ne la laissent pas « désespérée et sans secours devant le féroce maraudeur rouge ». C’est vrai qu’on lit tellement de livres qui ne font rien. Ou nous renferment un peu plus dans le dégoût des hommes et de la vie. Vie de Mlle Amandine se termine par ces mots : « J’ai faim ». Qui signifient qu’on aura repris enfin goût au monde. Et qu’il fallait bien faire ces pas, et le premier surtout, pour s’arracher à cette mélancolie, cette maladie peut-être, qui fait perdre à nos yeux les vraies couleurs de l’existence.

EXTRAIT :

VIE DE MLLE AMANDINE (incipit)

Il y a des moments où il faut se précipiter à la poursuite de l'espérance. L'air dans lequel on vivait, on le sent soudain qui se solidifie autour de vous comme du ciment. Ce qui vivait autour de vous n'est plus qu'une peinture sur la pierre qui vous emmaillote. Un jour on perd une fleur de sauge, l'autre jour on perd un arbre, puis un lambeau de forêt, puis un fleuve tout entier avec ses roseaux et ses poissons : ce qui était là devant vous, dressé en profondeur avec ses volumes et toutes les délicieuses avenues qui y sont entrecroisées de tous les côtés, on se précipite, saisi d'angoisse et, en effet, on le touche, peint, plat, plâtreux, mort. Comme si, brusquement, on était dans un canton de l'existence où il ne reste plus que des symboles, on habite des fresques de la vie. Elles vous entourent des quatre côtés avec des murs. La perspective et la couleur jouent cruellement avec vos désirs. Dans l'élargissement du ciel le plus océanique votre main ne trouve pas d'issue. C'est alors qu'il faut mourir, c'est plus logique. Il est impossible de rester en désaccord. L'accord est la seule joie du monde ; et de ce côté il est encore là, et soumis à votre volonté ; ou bien, c'est alors qu'il faut s'arracher et non pas fuir, mais poursuivre. C'est l'effort le plus barbare du monde mais le plus beau. Quand il faut faire le premier pas, avec les gestes tout entravés de bandelettes de pierre, avec une âme, un cœur et un foie de goudron, et la cire qui vous cachette les narines et votre ventre est mou comme un épi malade et on vous a retiré les entrailles avec un crochet de fer. Et faire le premier pas ; et puis les autres pas !

                                                                                                     Pléiade O.C. Giono, Tome III, P. 132.


 

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