jeudi 6 juin 2024

À PROPOS DE L’APPEL AU BOYCOTT DU MARCHÉ DE LA POÉSIE.


 

Que les esprits sont prompts à s’enflammer ! À peine prennent-ils connaissance d’une chose, en l’occurrence une décision, qui déplaît, qui sûrement prête à discussion, qu’au lieu d’en rechercher les véritables et différents mobiles, de rediscuter avec les parties concernées des faits et des résolutions, ils se précipitent,  prêtant à leur prochain les motivations sinon les plus noires, du moins les plus basses pour en appeler publiquement sans attendre aux ultimes condamnations. Manière pour certains, de se donner obliquement la noble et facile posture du combattant farouche à l’intraitable probité.

 

« Mais on entend les gens, au moins, sans se fâcher » faisait dire à Philinte Molière en réponse aux brutales déclarations d’Alceste lui enjoignant de disparaître de sa vue au prétexte de lui avoir vu faire des amabilités excessives à une personne qu’il ne connaissait pas !

 

Je ne suis pas personnellement a priori certain que le Marché de la Poésie ait eu raison de renoncer à inviter officiellement les poètes palestiniens à l’occasion de l’édition 2025 qu’il est en train de préparer. Toujours a priori, j’ai tendance à penser qu’il eut été bon de témoigner par là de l’engagement du milieu poétique derrière un peuple, je ne dis pas une structure politique, dont on connaît les souffrances et la profonde injustice dont il est depuis trop longtemps victime. Mais je sais aussi que les responsabilités des uns ne peuvent toujours être confondues avec celles des autres. S’il appartient bien à une institution comme le Marché de la Poésie de tout faire pour que la poésie trouve une plus large place dans l’espace public, que soit aussi le plus possible rendu manifeste sa nécessité comme exercice libre et créatif de la parole et réponse possible aux innombrables défis du temps, il est d’abord de la responsabilité d’un « marché » de ne pas se désinteresser de ses dimensions économiques, de la sécurité des participants et du public qu’il accueille et de ne pas risquer de voir sa tenue interdite par des autorités qu’on sait promptes, elles aussi, à recourir aux plus radicales solutions…

 

Je ne suis pas un habitué des visites au Marché, ni ne suis l’ami d’Yves Boudier ou de Vincent Gimeno, que j’ai toutefois accueillis à de nombreuses reprises au Channel de Calais, comme au théâtre Monsigny de Boulogne-sur-Mer pour des Périphéries, avec les Découvreurs. J’ai de la sympathie et de l’estime pour eux et pour leur travail. Dont personne j’imagine ne peut légitimement mettre en doute l’importance et la nécessité. Et même si, je le répète, j’eusse aimé qu’ils choisissent, quoi qu’il en coûte, d’aller jusqu’au bout de leur engagement, je ne puis accepter de les voir aujourd’hui[1], par ceux mêmes qui jusqu’ici, pour reprendre les termes de Molière, auront « fait profession » d’être de leurs amis, cloués au pilori.

 



[1] J’entends déjà d’ici ceux qui, après m'avoir reproché de minimiser par mon renvoi au Misanthrope l'importance du drame collectif qui se joue à Gaza, m’accuseront de me montrer plus sensible aux atteintes subies par les organisateurs du Marché qu’au martyre bien réel des familles palestiniennes qui devrait avoir à mes yeux toute la priorité. Loin de moi l’idée de confondre les deux. Mais personnellement je ne peux m’empêcher de penser que lancer à travers les réseaux sociaux, comme je le vois depuis quelques jours, d’indignes accusations contre des gens qui depuis longtemps soutiennent leur travail me paraît peu compatible avec la hauteur de vue et les exigences de justice proclamées par nombre de ces voix s’élevant aujourd’hui pour appeler au boycott du Marché de la poésie.

 

4 commentaires:

  1. Je partage entièrement ton point de vue, cher Georges ! Les poètes sont devenus aussi belliqueux que les politiques. Ce n’est pas surprenant, la mise en cause de Vincent est allée de pair avec un appel à créer un autre marché de la poésie. C’est à croire que le martyr de Gaza leur offrait une aubaine. De grâce laissons le feu du poème nous gagner, voilà un engagement qui demande lui aussi beaucoup de courage et de loyauté. Nimrod

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  2. je suis en solidarité avec ce texte

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  3. Plus de 700 signataires contre la couardise de beaucoup et le marché tremble et révise très maladroitement sa position ...où vous ne voyez que réaction excessive je vois Monsieur un regain d'intérêt pour une poésie qui depuis plusieurs années semblait avoir oublié la première fonction du poète.

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    1. Ce commentaire – par ailleurs non signé - me paraît symptomatique du penchant aujourd’hui de plus en plus marqué à ne considérer les choses qu’à travers des formules réflexes plutôt que de les aborder avec la retenue, l’ouverture et le sens respectueux de la discussion qui conviendraient. Réduire les positions de l’autre à des motivations nécessairement viles, avant que de tenter de les entendre, ironiser sur la prétendue lâcheté de l’autre pour mieux sans doute se persuader de son propre courage, jouer d’un condescendant et méprisant Monsieur, doublé d’une formule restrictive, pour m’adresser à propos de « la première fonction du poète », un semblant de leçon dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle procède de la pire des réductions tant historique qu’intellectuelle, voila qui étonne de la part de quelqu’un qui semble accorder à la poésie les missions les plus hautes. Et pourquoi pas civilisatrices.

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