Aujourd’hui – ça faisait trop longtemps – bon soleil, vent tombé, odeurs de terre, le parfum d’un lilas… C’est un matin de promenade. À divaguer avec le chien… Non. Je ne partage pas l’avis de ceux qui pensent que les espaces numériques librement ouverts à notre curiosité ne sont pas faits pour y partager des formes quelque peu exigeantes de poésie. Tout medium, on le sait, présente ses avantages qui se font toujours au détriment de quelque chose. Si l’avantage du numérique est son apparente gratuité, sa facilité et sa rapidité d’accès, sa capacité à affranchir les auteurs des conditions matérielles, économiques, commerciales et relationnelles auxquelles oblige l’édition traditionnelle[1], on ne doit pas sous-estimer que la démarche consistant à parcourir des yeux un texte proposé sur un fil d’actualité Facebook ne peut être la même que celle conduisant l’acheteur d’un livre à lire ce même texte l’esprit déjà bien disposé, chez lui, voire à la terrasse d’un café. Toutefois quand on sait combien peu nombreux sont ceux qui achètent vos livres, combien sont encore infiniment moins nombreux ceux qui vous font part de leur réaction, la tentation du numérique n’est pas sans séduction.
À la condition de disposer déjà d’une certaine audience, de confier vos textes à un espace qui ne soit pas uniquement celui d’une plateforme sur laquelle l’incessant flux d’actualité ne peut qu’ensevelir avec une extrême rapidité vos diverses publications, le calcul peut s’avérer ne pas être entièrement déplorable. Un de mes amis peintres ne cessait de déclarer reprenant une formule prise à quelque grand auteur dont le nom présentement m’échappe : « un seul auditeur suffit à Jean-Sébastien Bach ». Et l’expérience prouve qu’avec le numérique, il est possible d’en rencontrer certains.
Alors bien sûr, comme j'ai pu en faire très récemment état, on trouve surtout de la mauvaise poésie sur le net. Ou de la très médiocre. Rares se révélant les poètes véritables ne se contentant pas dans le moins pire des cas, de développer quelque formule vague, de mettre bout à bout des images ne visant qu’à faire joli sans se préoccuper à travers elles de penser physiquement et tout aussi sensiblement le monde et la fuyante relation que nous entretenons avec lui à travers le langage. Mais peut-être justement est-ce là une raison supplémentaire de ne pas abandonner ces espaces et de ne pas nous interdire d’y jouer notre partie. Personnellement je suis bien heureux de lire régulièrement sur Facebook les textes magnifiques de Denise Le Dantec comme ceux moins flamboyants, plus serrés mais d’une égale intelligence de Gérard Cartier, poète que je lis depuis longtemps. Ou ceux de Milène Tournier qu’elle s’est donné pour règle de publier jour après jour. Et je suis encore plus heureux de constater que ces textes ont leurs lecteurs. Et qui plus est fidèles. Certes, ne manquant pas du fait de mon activité critique de livres papier que certains éditeurs et auteurs m’adressent avec une largesse sans doute un peu excessive, je reste loin de privilégier la lecture de ces publications numériques mais je sais combien pour tous ceux qui doivent acheter ces livres et ne croulent pas comme moi sous leur généreuse abondance, le fait de mettre à disposition librement certains textes peut être bienvenu.
Comme auteur, toujours un peu frustré de savoir ses ouvrages dormir dans des cartons, j'apprécie de disposer d’un espace où redonner momentanément vie, en en renouvelant la forme et la présentation, à des textes publiés parfois il y a de nombreuses années et qui me paraissent avoir conservé une certaine puissance[2]. Pouvoir aussi parler à quelques-uns. Comme à cet autre en moi qu’ils continuent à faire advenir. Ma poésie n’étant pas d’expression mais d’exploration.
C’est pourquoi l’arrêt du Prix des Découvreurs ne m’empêchera pas de continuer de proposer sur mon blog, à côté bien sûr d’autres qui me paraissent en valoir la peine, certains de mes propres textes. Ainsi ce Marais de Guines, petite suite dont je me rappelle très bien les circonstances, notamment la discussion avec un ami botaniste autour de la consoude dont je savais un peu déjà les vertus officinales. Comme la consoude, que ce texte en rien ne décrit, mais travaille en vérité à venir illustrer, pour en constituer, aurait dit Ponge, « la preuve rhétorique », la poésie ne reste-t-elle pas toujours pour nous, lorsqu’elle est authentique, un des meilleurs moyens, sinon de cicatriser certaines plaies de l’être, du moins de nous consolider. Dans l’ouverture d’une conscience, dans l’instant réveillée, à un plus vaste sens… Sur ce, continuons à divaguer. Avec ou pas nos chiens.
Marais de Guines
parfois
on ne sait pas ce qu’on traverse
un paysage
une joie
un oubli
marchant
tantôt à découvert
tantôt entre des saules
on regarde un peu le marais
mais surtout notre vie qui passe
Daniel dit
– peut-être qu’on pourrait tout écrire
avec les mots qu’il faut
mais chaque chose en appelant une autre
essayer d’enfermer tout ça
étangs fossés canaux
les bleus les gris le blanc
et puis les millions d’herbes
les millions d’herbes !
ça nous ferait un beau mal de tête
rien que du vert Daniel
on n’en sortirait pas
Consoude
herbes
les herbes
les herbes
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
toutes en avant de soi
comme une foule
où l’on pourrait peut-être encore aujourd’hui se dissoudre
et pas une pourtant
dans sa vitesse
n’est la même
chacune
a charge d’elle
s’affirme sans contour
à chaque pas que nous faisons
qui nous rapproche et nous éloigne
d’elles
marais de Guines
conduits par l’étroit chemin de planches
nous abordons au vert
puisant
dans la dépense souterraine des eaux
on ne sait trop quelle nourriture
quelle satisfaction
d’avoir toujours à s’inventer
se précéder soi-même
sans aucune certitude /au bout /
de se rejoindre
Vivant
quelqu’un dit
mais ce n’est qu’une phrase ou
la glissade d’un oiseau peut-être
– en finira-t-on jamais d’inventer la figure du ciel ?
appuyés à la balustrade
tout le poids de l’air sur la tête
laissant largement au vent
à ses nuages les joies
de cette paix mobile
qui fait aussi s’agiter les branches des myrtes (?)
les petits échassiers migrateurs au-dessus du marais
TOUT
étourdis de présences
nos corps s’impriment sur le bois sans chercher de réponse
– vivants !
Georges Guillain
parmi tout ce qui renverse,
Le Castor astral, pages 96 à 99
[1] Édition traditionnelle dont il ne faut pas négliger le rôle qu’elle joue ou devrait jouer dans le processus de validation des auteurs. Osera-t-on dire que la multiplication aujourd’hui des petites maisons d’édition si elle permet bien la publication d’auteurs intéressants qui méritent tout-à-fait d’être connus, n’est pas toujours à la hauteur des exigences qu’elle affiche.
[2] Ces textes ayant trouvé un jour leur éditeur, je pense ainsi pouvoir échapper à ce défaut de validation que j’évoque dans la note ci-dessus.
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