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| JACK CLARKSON 1906-1986 |
En matière de peinture j’ai des goûts éclectiques. Qui me conduisent à aimer toutes sortes d’images qui m’amènent souvent à percevoir avec plus d’acuité les choses qui m’entourent. À ressentir autrement des atmosphères. La petite enquête que j’ai faite dernièrement à propos de Laurence Stephen Lowry m’a amené à rassembler quantité de ces images, je dis volontairement images[1], produites par des peintres anglais depuis le début du vingtième siècle dont le dénominateur commun est pour moi qu’elles contribuent à m’aider à saisir davantage la poésie du monde. Je m’explique. Le mot de poésie est la plupart du temps utilisé de façon vague. Un mot creux n’ayant qu’une valeur d’adverbe destiné à renforcer l’expression d’un jugement dépourvu d’argument. Si je parle ici de poésie du monde c’est que je voudrais signifier que le regard que nous portons sur ce qui nous entoure, c’est du moins l’expérience personnelle que j’en ai, est fortement nourri d’images qui déterminent et soutiennent son attention. Je me souviens que traversant, il y a bien longtemps, les grandes étendues plates des Flandres belges, de retour de Bruxelles où j’avais fait découvrir à mes enfants la peinture de Brueghel, ce paysage qui jusque là m’avait paru terne et sans charme et sur lequel je ne portais qu’un regard bien distrait, m’est apparu totalement autre. Pour la première fois je voyais les bouquets d’arbres autour des fermes rousses, les cheminées qui fumaient, la pointe bleutée des clochers d’église, les cours d’eau sinueux, les mares, les grandes pièces sombres de terre labourées… Tout s’était animé sous mes yeux. S’était mis à prendre couleur. Se mettait à exister prenant en même temps comme une profondeur historique m’amenant à imaginer, ici un groupe de paysans en sarrau occupés à étêter des saules, un enfant attendant qu’on lui cède une petite part de gaufre, là une troupe d’aveugles en route sur un chemin…
Poésie ainsi serait tout ce qui vient aviver l’esprit ou le regard. Renforcer de l’intérieur ce lien mêlé toujours d’imaginaire que nous avons avec les réalités pas toujours suffisamment visibles du monde autour de nous.
L’extraordinaire célébrité d’artistes comme Lucian Freud et Francis Bacon aura sans doute occulté la grande diversité de l’importante production picturale de nos amis anglais au cours du vingtième siècle. Certes beaucoup des images que j’en ai collectés relèvent par leur côté volontiers narratif d’une esthétique les rapprochant pour certaines de celle de la bande dessinée, pour d’autres, du film noir des années 50 ou 60. Mais je ne puis m’empêcher comme j’ai dit de les trouver poétiques. Chose que je vérifie chaque matin en promenant mon chien aux pieds des remparts de ma ville. La mémoire que je garde de ces images renouvelle en effet désormais le paysage routinier que jusqu’ici je parcourais pensant souvent à d’autres choses. Les lumières m’apparaissent plus profondes et vives et chaque détail maintenant aperçu fait naître en moi une atmosphère. Boulogne-sur-Mer dont j’avais autour de ses remparts, avec son beffroi, sa cathédrale, dégagé pour moi le petit côté siennois ou florentin, redevient avec ses rues, ses maisons inégalement éclairées, sa brique luisante et le fond pluvieux de son air, une ville du Nord. Quasi du nord de l’Angleterre. Une ville où l’enfant que j’ai été joue toujours à courir dans des rues populeuses avant de s’arrêter à la vitrine d’un commerce de charbon dans laquelle tourne pour Noël, parmi quelques minces lumières qui clignotent un fuligineux train électrique.
Ces images je me suis décidé à les partager ici un peu à la manière d’un calendrier de l’Avent, à raison durant ces deux ou trois semaines à venir, d’un montage par jour. Ce sera, j’espère, l’occasion pour les fidèles de ce blog qui s’apprête à franchir – ce sera sans doute au cours de 2026 – le cap d’un million de vues depuis sa création, de faire quelques intéressantes découvertes. De célébrer l’esprit de Noël lié depuis toujours pour moi aux charmes de l’image et des livres illustrés.
NOTE :
Le montage d’aujourd’hui montre quelques images de l’œuvre de Jack Clarkson (1906-1986) peintre et sculpteur beaucoup moins connu que L.S. Lowry mais qui s’inspira largement des mêmes paysages urbains que son contemporain. Le montage que j’ai réalisé montre ainsi diverses vues de ce qu’on appelle The Pottery, ancienne vallée minière et charbonnière, autour de l’actuelle ville de Stoke-on-Trent, où se sont installées au fil des siècles de nombreuses manufactures ou usines de céramique et de porcelaine. Parcourue de canaux nécessaires aux échanges de matières indispensables à la production, cette région ouvrière est marquée par ces pittoresques « bottle-kilns », anciens fours à cuisson au charbon que le Clean Air Act de 1968 a fait progressivement disparaitre du paysage.
[1] Je n’ignore pas bien sûr que la peinture est d’abord peinture et que l’image au sens courant du terme, ne lui est, comme le montre l’existence même de la peinture dîte abstraite, pas vraiment essentielle. Toutefois les représentations qu’elle invente des choses parmi lesquelles nous évoluons ne sont pas sans jouer un rôle puissant dans la façon dont nous apprenons jour après jour à les appréhender. À leur conférer une présence.

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