lundi 16 novembre 2020

BONNES FEUILLES. L’ÂGE DU CAPITALISME DE SURVEILLANCE. UN LIVRE CAPITAL DE SHOSHANA ZUBOFF CHEZ ZULMA.

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Ce n’est pas parce que l’on se dit poète qu’il faut s’empêcher de réfléchir. Ce serait plutôt le contraire. Comme le disait un mien ami, déclarant peindre pour voir, j’écris pour penser, pour comprendre et saisir. Non pour exprimer des idées préalables. Mais je sais bien aussi à quel point mon intelligence et mon ouverture aux choses ont besoin de l’intelligence et de l’ouverture des autres. À quel point lire me nourrit. Et à quel point aussi il est nécessaire pour qu’une parole soit habitée, une intelligence éveillée qu’elles soient informées par autre chose que les communs clichés, les postures faciles, générés par les forces de plus en plus cyniques qui visent à prendre possession de nous.

C’est pourquoi m’importe de partager sur ce blog, des textes qui par leur puissance de pénétration m’aident à y voir clair, persuadé que ce qu’ils m’apportent ils peuvent aussi l’apporter aux autres. Ces autres comme moi que le mouvement général de la société vers de plus en plus de contrôle, de moins en moins de responsabilité, de plus en plus d’intelligence superficielle et narcissique, de moins en moins de solidarité vraie avec toutes les formes imprévisibles du vivant, consterne ou stupéfie. Quand il ne les brise pas.

J’entends souvent cette chanson : il faut savoir s’adapter, marcher avec son temps. Ne pas tourner le dos au progrès. Moyennant quoi il faut bien sous peine de passer pour un amish faire l’acquisition d’un téléphone intelligent pour être enfin partout joignable, communiquer avec des centaines d’amis sur tweeter ou Facebook pour remédier à l’isolement, tisser d’un clic des liens vers tous les bouts de monde où jamais on n’aurait cru aller, et puis naturellement, bourrer d’électronique sa voiture pour éviter les accidents… Certes. Les avantages sont nombreux à cette évolution que d’aucuns nous présentent comme un merveilleux accroissement de la puissance d’être. Et une nécessité. Et je sais que beaucoup s’ils murmurent contre la tension que génère l’incessante adaptation aux changements qu’on leur présente comme inéluctables, ne voient pas d’autre issue que de les accompagner.

Et c’est là que le livre de Shoshana Zuboff dont je recommande aujourd’hui, vraiment, la lecture, fait œuvre salutaire. Prolongeant de façon terriblement concrète les hypothèses avancées par Barbara Stiegler dans un ouvrage paru l’an passé « Il faut s’adapter » (Gallimard, Essais), ce livre montre que derrière ce qu’on cherche à nous vendre comme un impératif de nos sociétés dîtes complexes se cache une vaste entreprise de dépossession de nos libertés, conçue par un capitalisme totalement dévoyé, qu’elle appelle capitalisme de surveillance, qui, sous couvert de se mettre à notre service, s’enrichit des données qu’il nous extorque pour mieux les transformer par la puissance des intelligences artificielles, en programmes chargés non seulement de nous rendre esclaves du marché mais aussi d’imposer à l’espèce humaine dans son entier, les mécanismes de correction, de dressage qu’il aura concoctés pour édifier le type de société qui lui convient le mieux.


C’est que l’espèce humaine est imparfaite. Et que nombreux sont aujourd’hui devenus les sachants, spécialistes, ingénieurs, experts, qui prétendent savoir mieux que tous les autres, comment guider les masses nécessairement ignorantes et les réduire le plus possible à une forme supportable pour elles, d’inertie, de passivité. L’idéal qui les meut est celui d’un homme-machine, programmé, programmable qui se laissera piloter à coup d’applications et d’objets connectés de plus en plus subtils, de plus en plus efficaces. Ce cauchemar est en route. Et pour qu’il ne devienne pas un jour réalité il importe que nous luttions contre cette entreprise de domestication.

Le gros ouvrage de Shoshana Zuboff est de ces livres qui sont aussi des actes. Qui forcent l’attention. Transforment notre regard. Et du fait même qu’ils existent nous fournissent les armes nécessaires à notre libération. Des armes, des analyses, qui tout autant que la poésie, sont nécessaires, selon moi, pour nous défaire enfin, des systèmes invisibles qui nous oppressent.

 

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