dimanche 29 novembre 2020

IMPRESSIONS DE LECTURE. CE QUI TOUJOURS NOUS MANQUERA DE L’ENFANCE. SUR UN RECUEIL DE JACQUES MORIN.


OTTO DIX Jeune ouvrier

Père. Le roman du que vient de m’adresser Jacques Morin relève de cette écriture de l’intime pour laquelle la poésie semble avant tout être faîte. Le vers d’ailleurs y prend très vite la succession de la prose pour évoquer ce qui me paraît être quelque chose de la tristesse profonde, comme orpheline, d’une existence qui se tourne pour commencer vers le souvenir des relations, toutes faîtes d’étrangeté, de distance et pour finir inconsistantes, que son auteur aura entretenu avec son propre père, avant d’avouer dans la dernière partie du livre mais dans toute la gêne d’une sensibilité retenue et pudique à l’excès, n’osant se dire qu’à travers le papier et la solitude de l’acte d’écrire, l’attachement compliqué que ce même auteur éprouve pour la compagne de ses jours.

Profondément marqué, en outre, par le sentiment de son vieillissement et les sombres perspectives qui accompagnent l’entrée dans le grand âge, Jacques Morin livre avec ce recueil une sorte, comme il l’écrit, de « célébration de l’ultime », une poésie qui se voulant lucide quant à ce que lui réservent ces jours pour lui implacables qui s’étrécissent, a quelque chose d’un peu glaçant, de déprimant, où se ressent sans doute le manque initial d’un partage plus généreux, plus intrépide, débonnaire peut-être, avec celui qui aurait dû lui laisser un peu plus d’amour et de confiance en héritage. Tant les impressions imprimées en nous par nos jeunes années affectent tout ce qu’ensuite nous nous efforçons même autrement de vivre.

Il y avait pourtant comme il se le rappelle ces bonnes cerises Napoléon, juteuses et fruitées dont jamais il n’aura mangé de meilleures. Et dans le même jardin, les cabanes enterrées. Enterrées. Oui, voilà. C’est un peu ce qui ressort de ce livre, pour moi poignant : le sentiment relativement commun à tous les hommes de cette génération et de ce milieu familial auxquels comme moi appartient Jacques Morin, de s’être vus, faute d’avoir pu profiter d’un commerce plus ouvert des cœurs et des pensées, obligés d’enfouir bien des choses au fond de leur conscience. De leur sensibilité. Des choses qui au final leur donnent l’impression, de n’avoir, même riche, vécu qu’une vie tronquée.

Extrait :

les mots tendres

sont un peu friables

un peu ridicules

 

ils roulent dans la bouche

comme du gravier

 

Démosthène à l’envers

on les bégaie avant de ne les prononcer plus

stylo dans la bouche

et de ravaler les cailloux

 

*

je me suis toujours refusé jusque là

au monologue amoureux

 

mon écriture voulait frapper, attraper,

agripper, saisir, mordre

plutôt que caresser

 

l’âge me rendrait-il plus faible

ou bien serait-il juste temps

 

*

L’intime dans la poésie

rentre dans l’ordre du mièvre

et de l’indiscret

 

on veut s’adresser au monde entier

ce qui semble exagéré

 

quelle oreille ici

écoutera en vrai

si ce n’est la tienne

 

(Père. Roman du, Jacques Morin, éditions Henry, pages 65/66)

 

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