mardi 12 juin 2018

"LA PUISSANCE D'UNE MOUCHE SUR LE PARE-BRISE D'UNE PORSCHE". À LIRE À LA BOUCHERIE LITTÉRAIRE !


Il y a un problème avec le mot poésie : c’est qu’appliqué à quantité de choses qui n’en sont pas,  ce terme leur confère d’ordinaire une forte valeur ajoutée alors que la chose ou les choses, restons vague, que ce terme en principe désigne, souffrent publiquement d’une cruelle désaffection. Bref, la poésie, il semble qu’on en ait d’autant plus plein la bouche qu’on n’en lit dans le fond jamais. 



De cet amer constat, le livre de Marc Guimo que vient, à sa manière un peu provocatrice, de sortir pour le Marché de la poésie qui s’achève, la Boucherie littéraire, tire une suite de variations qu’on pourrait presque dire désopilantes, si l’on était certain que le lecteur pouvait se rappeler l’origine médicale de ce mot. Car c’est vrai qu’avec cette espèce de liberté relâchée de ton et de langage, cette prise plus directe sur la trivialité de nos existences quotidiennes, par laquelle un certain nombre de jeunes auteurs entendent se démarquer du style un peu guindé, gourmet, un brin Guermantes et constipé qu’ils prêtent sans trop les connaître à leurs aînés, l’ouvrage de Guimo fait du bien et désobstrue un peu les rates, même si pour finir on peut sans doute lui préférer les réflexions et les confidences autrement plus élaborées et nourrissantes qu’on trouve par exemple dans l’Écrire et surtout le Basse langue de Christiane Veschambre, parues ces derniers temps, chez Isabelle Sauvage.

lundi 4 juin 2018

D’HANNAH. D’AHAN ! SUR OISEAU-MOI D’ÉDITH AZAM. LANSKINE.


Détail d'une toile du peintre Yves Loubeyre

« Assise au bord de l’eau » Edith Azam compose à l’intention d’une qui lui « fait couteau dans le cœur » et qu’elle appelle Hannah, une chanson de Mal-aimée qui retrouvant au passage quelques accents apollinariens secoue par ce qui s’y livre de détresse authentique et d’impuissance à la savoir dire. Toute nue et entière. Par une succession de poèmes aux vers généralement courts et saccadés, d’ahan, elle tente d’arracher son chagrin à sa « langue de terre ». Pour reprendre son vol. Se reconfondre  à cette femme-oiseau partie quelque-part bien trop loin, emportant sa part d’elle. Et ce n’est pas si doux. Et ce n’est pas si tendre, ce désarmé, désaimé lamento d’amante et de poète à qui l’on a rogné les ailes : ce presque chant rompu n’élevant vers le ciel qu’un seul mot.
 Solitude.

vendredi 1 juin 2018

SUR UN POÈME D’ETIENNE FAURE TIRÉ DE TÊTE EN BAS, GALLIMARD, 2018.


De livre en livre. De poème en poème. Et dans toutes les postures, comme ici tête en bas, Etienne Faure fore un peu plus tous les bois de la langue. Jusqu’à s’y éprouver termite. Ou plutôt lucifuges, individu pluriel : ces insectes dévorant ne se vivant qu’en groupes. Pour s’entregénérer mieux. Cela nous donne une succession de galeries par lesquelles s’enfoncer en phrases toujours recommencées, dans les communs affects de la vie et des choses qui passent. Des vies, des choses ayant saveur de passé. Et d’histoire. La dure friabilité aussi de tout ce qui depuis longtemps s’est vu creusé puis évidé en nous. La seule consistance demeurant celle de ces obstinées cheminements ou pour le mieux dire, ces sapes. Par quoi le petit grand monde versicolore que fait en nous notre existence, chez lui se réduit lentement mais sûrement, c’est un maître, en sa poudre de mots.

jeudi 31 mai 2018

SI RIEN MAJUSCULE N’ÉCARTE. SUR LA RENCONTRE EN MILIEU SCOLAIRE.


                       Il  « ne nous a point donné des paroles mortes
Que nous ayons à renfermer dans des petites boîtes
 (Ou dans des grandes),
Et que nous ayons à conserver dans (de) l’huile rance
Comme les momies d’Égypte.
[Il], ne nous a point donné des conserves de paroles
A garder,
Mais il nous a donné des paroles vivantes
A nourrir.
[…]
Les paroles de (la) vie, les paroles vivantes ne peuvent se conserver que vivantes,
Nourries vivantes,
Nourries, portées, chauffées, chaudes dans un cœur vivant.
Nullement conservées moisies dans des petites boîtes en bois ou en carton. »

Charles Péguy
Le porche du mystère de la deuxième vertu


Bien souvent j’aurais, dans ce blog comme dans celui dont il a pris la relève, fait l’éloge de la rencontre. Celle que nous promouvons et encadrons. Avec des auteurs et des êtres vivants. Dans des écoles animées par un réel souci d’ouverture à l’art perçu comme un vecteur privilégié d’élargissement et d’approfondissement d’être. Et cela ne m’a jamais empêché d’en constater le caractère illusoire dès lors qu’il ne s’agissait, en matière de poésie contemporaine, que de rencontres ponctuelles. Sans précédent. Comme sans suites. Non portées. Non vécues.

lundi 14 mai 2018

SÉLECTION 2018-2019 DU PRIX DES DÉCOUVREURS. UN CHOIX DIFFICILE.


Difficile encore cette année d’établir de façon définitive notre sélection pour le Prix des Découvreurs 2018-2019.  Choisir c’est bien entendu exclure. Un crève-cœur quand on se voit obligé de renoncer à sélectionner des textes qui nous sont chers mais qui nous feraient sortir des principaux impératifs que nous nous sommes fixés et qui avec le temps sont devenus plus clairs.

D’abord il nous fallait comme toujours proposer aux jeunes que leurs professeurs feront participer, des textes témoignant de la profonde diversité des écritures contemporaines. Et du profond renouvellement tant formel que thématique que ces écritures ont maintenant depuis longtemps introduit par rapport aux formes toujours mises à l’honneur au sein de l’institution scolaire.

vendredi 11 mai 2018

DANS LA CHAIR DU POÈME. NI LOIN NI PLUS JAMAIS D’ISABELLE LÉVESQUE.


Lorsque je serai mort depuis plusieurs années,
Et que dans le brouillard les cabs se heurteront,
Comme aujourd’hui (les choses n’étant pas changées)
Puissé-je être une main fraîche sur quelque front !

Oui. C’est à ce vœu émis, il y a plus d’une centaine d’années par ce magnifique poète que fut aussi Larbaud que je ne peux m’empêcher de songer à la lecture du dernier livre d’Isabelle Lévesque, Ni loin ni plus jamais, présenté en sous-titre comme une suite pour Jean-Philippe Salabreuil. Belle chose en effet que cette « main fraîche » passée par un poète depuis longtemps disparu sur le front d’un poète vivant. Que cette transsubstantiation qui fait ici que le verbe se fait chair. Et que ce qui était apparemment mort redevient dans un geste et pour un instant, vie.

Seulement, contrairement à ce qu’imagine l’auteur des Poésies de A.O. Barnabooth, les choses ont aujourd’hui bien changé et si les brouillards demeurent - encore que ceux de Londres qu’il évoque se soient considérablement réduits – les formes poétiques et les goûts de nos contemporains ont terriblement évolué. Au point de nous rendre certains textes moins aisément lisibles.

mardi 8 mai 2018

INSCRIPTIONS IRLANDAISES. LA PIERRE À 3 VISAGES DE FRANÇOIS RANNOU.


Pierre oghamique

Je ne sais si cette attitude est partagée par beaucoup mais je me fiche de plus en plus de démêler à propos d’un poème ce qui s’y est écrit de l’intérieur, dans une espèce de « transparence centrale », de ce qui lui est venu de l’extérieur dans une sorte d’abandon, plus ou moins improvisé, à l’imaginaire de la langue. Dans un texte réussi et qui compte, les deux également importent. Et rien de « central » n’y remonte en surface qui n’y ait été en partie invité par cette vivifiante et créatrice déprise apparente de soi que permettent les mille et une sollicitations de l’écriture. Compte pour moi qu’un poème ait une odeur. Qu’il sente ou non la tourbe ou la bruyère. Que je l’éprouve animé de vie propre. Qu’elle soit ardeur ou torpeur. S’enfonce dans les chemins tranquilles d’une campagne solitaire ou s’agite sur les quais bruyants empestant la saumure ou la bière, d’une ville étrangère.


Non que je désire que le poème me décrive. Figure. Il n’y a pas, je crois, de poésie descriptive. Mais j’attends que les matériaux qu’il utilise me rendent au vivant qui renverse. Dans une certaine épaisseur d’être. Qui aille avec le sentiment d’une approche tentée. Toujours recommencée. 

jeudi 29 mars 2018

AMANDINE MAREMBERT, PRIX DES DÉCOUVREURS 2018.


C’est à Né sans un cri, un ouvrage d’Amandine Marembert  publié aux éditions des Arêtes, qu’ira le prix des Découvreurs 2018. J’ai eu déjà l’occasion de dire ici le bien que je pensais de cet ouvrage qui au-delà de ses grandes qualités littéraires, ce qui n’est pas toujours le souci premier de la plupart de nos jeunes lecteurs, témoigne d’une profonde sensibilité à une question à laquelle ces derniers se montrent généralement plus réceptifs, qui est celle de la différence. De notre capacité aussi à comprendre, à accueillir l’altérité. De la plus ou moins grande plasticité intérieure qui nous est nécessaire pour ne pas ériger notre mode particulier et plus ou moins commun d’être, en absolu.


Amandine Marembert
Ce sont les poètes, les vrais, qui parlent le mieux de leurs confrères. Ainsi c’est à Christiane Veschambre, à la façon dont elle a su me donner envie de la lire, que je dois de m’être penché avec plus d’attention sur le travail d’Amandine Marembert. Aussi, rien ne me réjouis donc plus aujourd’hui que la perspective de voir Amandine et Christiane, rassemblées le vendredi 13 avril à Boulogne-sur-Mer, la première pour recevoir son Prix, la seconde pour nous parler avec son compagnon Aimé Agnel, de Paterson, ce beau film de Jarmusch auquel elle vient de consacrer Ils dorment, un court mais bien émouvant texte, à l’Antichambre du Préau.

dimanche 25 mars 2018

REFAIRE PASSER LA MORT DU CÔTÉ DE LA VIE. UN BOUQUET POUR LES MORTS. ENTRETIEN AVEC GEORGES GUILLAIN.


Quelle est l’origine profonde de ton livre ?

Qui ne sait qu’en matière d’art, et la poésie est avant tout un art, l’œuvre est plus souvent le fruit d’une poussée, d’un entraînement inconscient de toute la pensée sensible qu’une opération préméditée dont l’esprit aura dès le départ pesé  les principaux aboutissants.

Un Bouquet pour les morts est de ces livres dont le sens ne m’est apparu que bien tard. Et qui réellement s’est fait, pourrais-je dire, de lui-même, entendant par-là que c’est en réponse aux progressives et multiples sollicitations des divers éléments qui lentement s’y sont vus rassemblés, qu’il s’est trouvé prendre figure. 

En cela ce livre est un livre vivant. 

Oui mais dans l’adresse finale au lecteur tu le relies clairement à tous les disparus de la Grande Guerre. Et la plupart des poèmes qui composent ton Bouquet sont dédiés à des soldats de diverses origines qui ont trouvé la mort à l’occasion de ce conflit. Tu dis aussi dans cette adresse qu’ils sont comme une réponse à l’invitation que tu as découverte sur le fût d’une colonne élevée à la mémoire des soldats russes venus combattre pour la France, de leur offrir « quelques fleurs ».


C’est vrai. Mais si le livre se présente effectivement comme une offrande aux morts de la première guerre mondiale et évoque certains des lieux où ils reposent – vallée de la Somme, plaine de l’Aisne, cratère de Lochnagar, Ferme de Navarin, Main de Massiges, plateau de Californie, cimetière de Craonnelle … -  il se présente de toute évidence beaucoup moins comme le rappel des horreurs dont ces paysages furent en leur temps le théâtre que l’évocation de la relation affective, charnelle, que les disparus dont il fait état auraient pu entretenir heureusement, pleinement, avec le monde si la sauvagerie de la guerre n’avait cruellement  mis un terme à leur espérance légitime de vivre. 

Car c’est bien de l’intérieur de ma vie propre, de la relation particulière que j’entretiens avec ce qui m’entoure, m’émeut et me nourrit que cet ouvrage, peut-être, approche quelque chose de l’existence de ceux que je fais figurer dans ses pages.

vendredi 16 mars 2018

PAROLE ET BARBARIE. UN HOMME AVEC UNE MOUCHE DANS LA BOUCHE DU POÈTE IRAKIEN ALI THAREB.


On s’étonnera peut-être de voir commencer une note de lecture portant sur le recueil d’un jeune poète irakien par l’évocation d’une photographie représentant l’exécution en janvier 43 dans la ville de Bosanska Krupa, en Bosnie, d’une résistante yougoslave de 17 ans, Lepa Svetozara Radić, coupable d’avoir tiré sur des soldats allemands.


Cette image sidérante que le hasard vient de me mettre sous les yeux, interroge puissamment sur notre capacité à réagir face aux atrocités dont, pour les plus chanceux d’entre nous, nous ne sommes que les témoins lointains. Et sur la possibilité surtout que nous avons de leur donner sens par la seule vertu de la parole.