Que nous ayons à renfermer dans des petites
boîtes
(Ou dans des grandes),
Et que nous ayons à conserver dans (de) l’huile rance
Comme les momies d’Égypte.
[Il], ne nous a point donné des
conserves de paroles
A garder,
Mais il nous a donné des paroles vivantes
A nourrir.
[…]
Les paroles de (la) vie, les paroles vivantes ne peuvent
se conserver que vivantes,
Nourries vivantes,
Nourries, portées, chauffées, chaudes dans un cœur
vivant.
Nullement conservées moisies dans des petites boîtes
en bois ou en carton. »
Charles
Péguy
Le porche du mystère de la deuxième vertu
Bien souvent j’aurais, dans ce
blog comme dans celui dont il a pris la relève, fait l’éloge de la rencontre.
Celle que nous promouvons et encadrons. Avec des auteurs et des êtres vivants.
Dans des écoles animées par un réel souci d’ouverture à l’art perçu comme un
vecteur privilégié d’élargissement et d’approfondissement d’être. Et cela ne
m’a jamais empêché d’en constater le caractère illusoire dès lors qu’il ne
s’agissait, en matière de poésie contemporaine, que de rencontres ponctuelles.
Sans précédent. Comme sans suites. Non portées. Non vécues.
Animer est un mot magnifique.
Dont il importe de garder toute l’originelle puissance. Qui est de communiquer
ardeur, enthousiasme. D’insuffler autant que possible la vie. On le réduit
malheureusement parfois à la recherche appauvrissante, desséchante, d’une assez
vaine agitation de surface. Se contentant de satisfaire des curiosités
accessoires. Par quelque monstration plus ou moins attendue. Que quelques-uns
parmi les intervenants acceptant trop facilement d’être exhibés dans leur cage,
exécutent à travers la mise en scène narcissique de leur petite personne.
La rencontre ponctuelle encourage
ces dérives qui n’apportent pas grand-chose. C’est pourquoi je suis si heureux
lorsque j’ai l’occasion de découvrir le travail réalisé autour des rencontres
par certains des établissements avec lesquels nous aimons à travailler. Qui
savent aussi bien préparer à la rencontre qu’en prolonger les effets par les
pratiques les plus diverses et les plus nourrissantes. Je pourrais énumérer ici
bien des noms comme ceux des lycées Wallon de Valenciennes, Rimbaud de
Sin-le-Noble, Carnot de Bruay la Buissière, Berthelot bien sûr de Calais,
Branly de Boulogne-sur-Mer, Mousseron de Denain… des collèges Desnos de Masny,
du Bras d’Or d’Ecuires, Daunou de Boulogne-sur-Mer… sans oublier tous ceux qui
trop loin de l’Académie de Lille pour que je puisse m’y rendre, m’adressent les
témoignages de leurs inventifs et parfois émouvants travaux.
Là encore ce qui compte n’est pas,
comme l’a dit avec la sensibilité particulière qui la caractérise Lili Frikh
dans son intervention du 18 mai dernier au Channel, sur le Devenir du poème, de faire écrire pour écrire, mais d’offrir par la
qualité du dispositif mis en place, au jeune qui voudra vraiment s’en saisir,
l’occasion de découvrir de nouvelles capacités de création, de découvrir aussi
à quel point les matériaux qu’il utilise, résistent à sa volonté d’expression
tout en lui apportant de quoi l’excéder
et la faire advenir à de nouvelles dimensions d’être. Ce par quoi il se
pourrait bien qu’il comprenne comment par la parole et l’art, il ne se reflète
pas simplement lui-même. Mais se construit.
En attendant, nous n’avons pas,
nous poètes intervenant dans les classes, d’autres objectifs à nous donner que
de tout mettre en œuvre pour témoigner d’abord de l’importance que devrait
avoir pour chacun, de prendre soin de sa parole et de savoir se mettre à
l’écoute des autres. Pour, que dans ce grand concert de voix qui renvoient,
toutes singulières, à la vie qui traverse, chacun trouve enfin légitime de
venir habiter mais habiter vraiment la sienne. Dans le constant souci non de
s’y enfermer. De s’enclore. Mais d’y faire entrer plus d’air. De chaleur. Et
toujours plus de lumière.
Pour cela : pas de message à
faire passer. Pas de contenu de discours même si bien entendu il n’existe pas
de parole qui ne charrie de multiples idées, maints savoirs prétendus, sourdes affirmations.
Ou vibrantes. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Qui n’en est que la matière.
Compte en fait la manière. Qui prend forme dans l’être. Et seule je pense agit.
Relie. Fait sens autre qu’abstraitement ou tristement scolaire. Car il ne
s’agit dans ces moments que de véritable présence. Regarder. Écouter. Se
penser. Se parler. Taire. Être ensemble. Tandis qu’avec le poème, autour, dedans, peut-être
vivre
c’est ouvrir les yeux
si
rien majuscule n’écarte
L’Herbe
La
Barque
Le
Matin
ou
l’éclat du Soleil sur les charniers du Monde
le
Ciel dessus qui change
mais
nous reste toujours
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