Il y a un problème avec le mot poésie : c’est
qu’appliqué à quantité de choses qui n’en sont pas, ce terme leur confère d’ordinaire une forte
valeur ajoutée alors que la chose ou les choses, restons vague, que ce terme en
principe désigne, souffrent publiquement d’une cruelle désaffection. Bref, la
poésie, il semble qu’on en ait d’autant plus plein la bouche qu’on n’en lit
dans le fond jamais.
De cet amer constat, le livre de Marc Guimo que
vient, à sa manière un peu provocatrice, de sortir pour le Marché de la poésie
qui s’achève, la Boucherie littéraire,
tire une suite de variations qu’on pourrait presque dire désopilantes, si l’on était certain que le lecteur pouvait se
rappeler l’origine médicale de ce mot. Car c’est vrai qu’avec cette espèce de
liberté relâchée de ton et de langage, cette prise plus directe sur la
trivialité de nos existences quotidiennes, par laquelle un certain nombre de
jeunes auteurs entendent se démarquer du style un peu guindé, gourmet, un brin
Guermantes et constipé qu’ils prêtent sans trop les connaître à leurs aînés, l’ouvrage
de Guimo fait du bien et désobstrue un peu les rates, même si pour finir on
peut sans doute lui préférer les réflexions et les confidences autrement plus
élaborées et nourrissantes qu’on trouve par exemple dans l’Écrire et surtout le Basse langue de Christiane Veschambre, parues ces derniers temps, chez Isabelle
Sauvage.
Reste que la poésie est bien affaire aussi de
communication. De soi à soi d’abord. De soi aux autres ensuite. Et de façon
plus large de la parole à la vie et de la vie à la parole. Et là, force est de
reconnaître que l’ouvrage de Guimo touche plus directement, dans la fantaisie drôle
et désespérément impertinente qu’elle doit en partie à sa génération, que grand
nombre d’opus savants qui ne l’ont pas attendu pour se pencher très
intelligemment sur la question. Car l’entreprise y est, non de faire Traité,
mais d’avancer dans toute l’irrévérence dont elle est capable à l’égard des
fausses valeurs établies, une vie que la poésie, même si elle ne possède que
« la puissance d’une mouche/sur le
pare-brise d’une Porsche » entretient et conforte dans son grand
combat, la guerre au fond, qu’elle mène contre l’adversité. Que celle-ci
endosse l’apparence d’une facture impossible à payer ou qu’elle se confonde
plus généralement avec les petites ou grandes mécaniques de broyage que les puissances
politico-financières sont parvenues à agencer au sens ancien comme moderne du
terme, pour soumettre le petit monde nombriliste et narcissique qui a depuis
longtemps perdu la force voire même l’idée d’y simplement résister.
Et puis l’important peut-être n’est pas tant de
lire de la poésie - encore constate bien Guimo, qu’on en sort le plus souvent
élargi, décentré, et comme réoxygéné en profondeur - l’important c’est d’en
faire, et d’en faire quelque-chose : « tout
poème » étant « un avis de
recherche » par quoi inventer comme on peut quelque nouvel aspect du
monde que ceux qui le fabriquent vous laissent bien caché. Et il est donc
hautement réjouissant de voir au fil des pages de ce nouveau titre de la Boucherie littéraire, s’affirmer
cette voix bien armée qui ne fait pas dans la guimauve. Animée d’une révolte à mon sens plutôt saine
contre le monde comme il va. Qui ne se fait pas trop d’illusion quant à sa
capacité de le transformer. Même aux marges. Qui se défie de la toute-puissance
de l’ego. Mais croit au pouvoir
en tout dernier ressort de la parole. Pour se brancher sur sa vie. Sa vraie
vie. Et la rendre, qui sait, utile. Sinon pour ces tristes millions de gens qui
la pensent inapte : du moins pour une poignée d’autres.
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