C’est à sa fille Clara, morte
d’un cancer à l’âge de 20 ans, que la poète d’origine roumaine Sanda Voïca
dédie l’ouvrage que les éditions LansKine viennent de publier d’elle. Trajectoire déroutée, titre on le voit
déjà très parlant, est un livre de deuil. Un livre qui témoigne à sa manière,
poignante assurément, et souvent déstabilisatrice, de la façon dont la perte
d’un enfant, d’un être qui, réellement, est la chair de sa chair,
modifie cruellement pour une mère la courbe de sa vie, déplace son centre de gravité. La
déroute. L’égare. Désorientant en profondeur ses moindres perceptions :
Je
sors dans mon jardin
et
dès la porte d’entrée
l’air,
le soleil, les fleurs
m’attaquent :
mur
qui me pousse
et
m’empêche de le traverser,
de
faire des pas, de sortir.
Pétrifiée
et tremblante
devant
cette tombe ad hoc,
celle
de la fille,
venue
jusqu’ici.
Si
je voulais me jeter par terre
je
ne tomberais pas :
l’air
du jardin devenu solide
m’en
empêcherait.
Que faire d’une telle douleur ? D’une absence
qui reste tellement et si longtemps présente. Sans que chacun trouve sa place.
Ni la morte. Ni la vivante. Continuant d’échanger par-delà cette frontière pas
totalement étanche qui les sépare, chaque poème se fait alors « navette » entreprenant de recoudre
dans son fil de parole le tissu déchiré des temps. De faire aussi se rejoindre
malgré tout, les espaces. De trouver le point d’équilibre enfin, où au-delà de
tout réalisme étroit, la mère et la fille parviennent à partager quelque chose
toujours de leur essence sinon de leur matérialité propres :
J’ai
enfanté une pierre
elle
est devenue poussière.
Pierre
que j’animais
dans
chacune de mes secondes.
Elle
resplendissait
je
disparaissais,
en
cherchant l’équilibre.
Tournant
autour de son axe
mon
corps devenait pierre.
Je
prenais ta place –
tu
devenais lumière.
Quand
l’équilibre a été atteint
le
roc allumé s’est éteint
est
devenu poussière.
Duvet
que mon corps
maintenant
contient.
Il
s’allume et s’éteint
mille
fois par jour,
en
cherchant l’équilibre.
Ici pourtant : pas de repos. Car le verbe est définitivement
investi d’une mission tragique : se faire s’il le peut à nouveau ou pour
un moment, chair. Chair flottant entre existence et néant comme dans le bleu des
tableaux de Chagall. Revenante. Chair ardant aussi sous la chair, chair réunie, comme dans cette
intime douleur qui pointe sous le talon qui s’est un jour posé sur la flèche
des morts.
Trajectoire de la douleur : on n’en finit jamais avec sa chair.
Sa tombe est un chemin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire