« Je suis en partie monstre, en partie animal, partie eau, partie
histoire, partie chant, partie farceur, toujours le sang rencontre l’eau &
asperge la terre ».
C’est à partir de ce sentiment de
personnalité éclatée, diffractée - en parties violemment concurrentes ou
contraires - jetée au cœur d’une réalité et d’une histoire cruelles, que le
poète américain Michael Wasson, d’origine Nimíipuu ou Nez-percé, une des plus
vieilles tribus indiennes, qui occupait autrefois les territoires de l’Idaho et
du Montana, a composé cet Autoportrait
aux siècles souillés, que les éditions des Lisières viennent de publier
dans une traduction de Béatrice Machet.
Michael Wasson qui vit
apparemment aujourd’hui au Japon tient de son enfance à proximité des Rocheuses
et des récits que lui a transmis tout particulièrement son grand-père ainsi
bien entendu que des ouvrages qu’il aura pu lire sur la question, la mémoire de
ses racines amérindiennes et l’autoportrait qu’il élabore, comme l’indique
d’ailleurs fort éloquemment le titre de son ouvrage, n’est pas celui d’un
individu circonscrit dans les limites de son histoire ou de sa psyché propres. Très
profondément marqué par la conscience qu’il a des crimes et des abominations
perpétrés par les américains contre le peuple et la civilisation dont il est
issu, il tente à sa façon d’en ressusciter les fantômes, recourant aussi bien
au rêve, au mythe, au rappel historique qu’à des fragments de cette langue indigène
dont il s’efforce de capter un peu des énergies vitales et des lointaines vibrations.
Cela donne une suite de poèmes au
caractère parfois déroutant, fortement pathétique : le vers s’y
développant le plus souvent par saccades, par pulsions métaphoriques, comme par
succession de jets de sang dans une artère. Une palpitation continue dans quoi
se reconnaissent aussi bien la chair, la chair meurtrie et parfois rayonnante
de l’homme rouge que celle des paysages avec lesquels il fait corps.
Il n’est pas sans importance que
nous puissions aujourd’hui entendre à travers la voix d’un de leurs survivants,
des échos de cette monstrueuse tragédie qui ne visa à rien de moins qu’à
éradiquer l’un des peuples premiers, de la terre qu’il habitait et préservait
depuis des millénaires. Et non sans importance que cette voix soit celle d’un
poète plus que d’un historien. Car ce que nous entendons dans cette voix c’est
que nous sommes toujours en profondeur affectés par les drames de l’histoire.
Et de même que, comme j’ai pu le montrer ailleurs, nous n’en avons toujours pas
fini avec les conséquences intimes de la guerre de 14, ce qui est arrivé aux
indiens d’amérique, comme à la plupart des peuples premiers que notre civilisation,
dans toute l’arrogance de sa prétendue supériorité a voulu mettre au pas, arracher
à leur propre culture pour finalement les exiler d’eux-mêmes, est un crime dont
nous n’avons sûrement pas fini d’éprouver les conséquences mortifères. En termes
de relation à la nature. De sentiment ou de profondeur d’habiter. Et de façon
plus inquiétante encore, de survie de toute notre espèce.
D’autant qu’il n’est en rien
assuré cette fois, que la seule poésie, à l’instar de Coyote, le rusé et farceur personnage mythique du folklore
amérindien auquel Michael Wasson fait souvent référence, parvienne comme au
beau temps des Origines, à ramener à la vie tout ce que le Monstre occidental a depuis longtemps entrepris de détruire.
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