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J’ai suffisamment fait état sur ce blog de la sympathie et de la considération que j’éprouve envers la poésie d’Emmanuel Moses pour me sentir obligé aujourd’hui d’y revenir. Emmanuel Moses est de ces poètes féconds et reconnus qui bénéficiant du privilège de pouvoir à volonté publier ses ouvrages dans les maisons les plus diverses, possède malgré cela le don, la grâce, de ne jamais lasser. Sans doute parce qu’il est véritablement poète c’est-à-dire pense réellement avec le cœur, un cœur nourri en profondeur d’une riche, profonde et lointaine expérience du monde et de la vie. Qu’une maîtrise parfaite de la langue, un sens subtil des tonalités, une perception non moins fine du rythme capable de s’affranchir, sans heurter, des métriques conventionnelles, lui permettent de figurer sans avoir besoin de recourir aux pénibles acrobaties, aux confus hermétismes, auxquels s’abandonnent certains.
De son Dictionnaire des sérénités, titre qui se voit expliqué page 28 de l’ouvrage, je ne retiendrai donc pour le partage que le tout dernier poème qui est aussi le plus long. Pour ce qu’il me rappelle aussi certaines pages magnifiques de son Quatuor, paru en 2020 au Bruit du temps, ouvrage que j’aurai eu le plaisir de saluer de façon plus approfondie ici (voir) et là (voir).
L'AIGLE D'IVRY
Je m'étais pourtant promis de ne plus écrire de poésie
pendant un temps
Peut-être par excès, c'est-à-dire que trop de sensibilité m'avait habité
Que mes impressions et mes émotions s'étaient emparées de mon âme
— Comment l'appeler autrement ? —
Et que la flamme ténue qu'elle entretient dans l'obscurité de l'être
— Là encore, comme l'appeler autrement ? —
S'en était ressentie
Se recroquevillant, se réduisant à une pauvre étincelle
soufrée menacée d'extinction.
Mais l'occasion d'un voyage, vers un lieu où l'amitié
rayonnait depuis près d'une moitié de vie
Lieu cher, parmi les hêtres et les charmes,
les mares et les chemins de terre,
M'a rendu la présence de la poésie
(Comme on rend à quelqu'un qui pensait l'avoir perdu
Un objet dont il commençait d'accepter la disparition)
Cependant, cette présence de la poésie aurait eu beau
frapper à la porte de l'âme,
Oui, l'âme doit lui ouvrir sinon elle se dissipe aussitôt,
Sans un autre événement, antérieur de peu
Aucun poème n'en aurait surgi.
Un après-midi d'automne, dans un cimetière aux allures
de forêt moussue et profonde d'ombres sur lequel se déversait
un pâle jour bleu aux reflets roux,
J'avais accompagné une vieille amie jusqu'à sa « dernière demeure »
ce trou luisant et brun
Que je ne veux pas appeler autrement, même si ses noms
sont nombreux
Et la mort, puisque c'est elle qui nous conviait, nous,
les amis, avec sa famille,
Qui nous unissait pour la dernière fois à elle, « la défunte »,
la dernière fois, vraiment ?
Au lieu de m'apparaître comme une exterminatrice,
un monstre froid
M'avait fait l'impression d'une compagne fidèle
et presque bienveillante de l'existence et des hommes
Remplissant mon cœur d'une sérénité non dépourvue de joie
et de pureté
Pureté que reflétaient l'air et les couleurs tendres qui l'éclairaient.
Des corbeaux volaient entre les feuillages de nid en nid
sur les branches autour de nous
Puis quelqu'un lança à un moment; « Regardez ! »
Plus haut qu'eux planait en cercles lents un oiseau qui aurait
pu être un aigle tant il paraissait grand
Un aigle en banlieue parisienne ?
Pourquoi pas ?
Et le souvenir de cette heure de paix, de cette heure
avait transmué la mort
De cette heure de l'oiseau inconnu, un aigle, désormais,
pour moi
De ce moment heureux — ici aussi, c'est le mot le plus juste —
Fut, je le mesure maintenant l'ingrédient nécessaire
à l'émergence, à la réémergence, de la poésie
À affermissement, mieux, à son plantement et
son épanouissement simultanés
Quelques jours plus tard, chez mes amis, à l'ombre des feuillus
et dans les chemins creux.
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