J’ai de la sympathie pour ceux qui regardent les choses, qui regardent le monde, avant de regarder les mots. Surtout avant de se regarder eux-mêmes. Non que les mots ne comptent pas. Non plus que je ne sache que les choses pour nous ne prennent corps qu’à travers les représentations que nous nous en faisons, mais j’aime que mon attention soit portée vers ce qui en dehors de moi existe, élargit, amplifie, ouvre mon paysage. L’ouvrage que Raymond Farina, jusqu’à présent inconnu de moi, m’a fait parvenir de Dinard où il se trouve apparemment en convalescence, est largement consacré aux oiseaux qu’il observe depuis l’enfance. Certes on n’y trouve pas cette grande liberté, ni ces audaces, que manifeste l’écriture par exemple de cette autre grande passionnée des oiseaux qu’est Fabienne Raphoz, toute nourrie de cette poésie américaine qui aura largement contribué, parfois d’ailleurs pour le pire, à décorseter une bonne part notre poésie. Mais le confiant et paisible conformisme ici de la forme laisse au lecteur davantage d’espace pour se pencher avec l’auteur sur le vivant sujet qu’il traite. Ainsi de ce bruant zizi qu’il me fait découvrir page 17 de son recueil. Dont je m’efforcerai désormais de reconnaître, à travers les haies qu’il m’arrivera de longer, la trille expéditive et un brin métallique qui lui a donné son nom.
LE BRUANT ZIZI
Son chant n'est pas vraiment un chant :
il crécelle ou il crécerelle,
il coqueluche nuit et jour,
au désespoir de ses voisins,
Sur les roseaux et les arbustes,
imitant sistres et cymbales
des cigales sciant l'été
pour faire d'août une obsession.
Possible qu'il ait déniché
cette discordance sonore
en fouillant bruyère et broussailles,
qu'il ait piqué dans l'entrelacs
des racines et des rhizomes
les z et les i de son nom,
cette étiquette ridicule
qui lui colle encore à la plume
par la faute d'un paysan
ou celle d'un ornithologue.
Si l'on en croit les oiseleurs :
oiseau qui braie en plus de bruire,
pour réveiller le vieux soleil,
il ferait pire, côté chant,
en imitant le coq et l'âne
et en passant sans passeport
du chant de l'un au chant de l'autre,
martelant inlassablement
sa ritournelle minimale.
Pas Stradivarius pour un sou,
ce Gargantua des broussailles
n'est pas, non plus, un fin gourmet,
un de ces colibris subtil
qui fascine les orchidées
pour prélever leur suc secret
avec le tact imperceptible
d'un ange botticellien.
En clair, zizi, jaune et fantasque,
notre bruant reste bruyant,
parfois braillant et brayant même
mais il est, quand même efficace :
avec son bec, vrai casse-noix
que Nature lui a donné,
il s'empresse de concasser
ce qui lui tombe sous le bec,
les graines et les scarabées,
avant, après les parenthèses
où il avale baies et vers.
Cette folle fringale explique
qu'il cède à tous les traquenards
pour finir lamentablement
en compagnie de l'ortolan
dans une affriolante assiette.
Impossible de partager
l'unanimité malveillante
que ce drôle d'oiseau suscite.
Jamais il ne sera pour moi
ce prétendu bouffon grossier,
cet acrobate maladroit
cherchant en vain son équilibre
sur le buisson où il se pose.
Dans mon regard d'enfant il reste
celui qui trace à fleur d'épis
une parfaite parallèle,
laissant à l'alouette folle
la passion du vertical,
au rossignol ses arabesques
et ses trilles au canari,
pour zézayer innocemment
sur la tête d'un acacia.
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