C’est à sa fille Clara, morte
d’un cancer à l’âge de 20 ans, que la poète d’origine roumaine Sanda Voïca
dédie l’ouvrage que les éditions LansKine viennent de publier d’elle. Trajectoire déroutée, titre on le voit
déjà très parlant, est un livre de deuil. Un livre qui témoigne à sa manière,
poignante assurément, et souvent déstabilisatrice, de la façon dont la perte
d’un enfant, d’un être qui, réellement, est la chair de sa chair,
modifie cruellement pour une mère la courbe de sa vie, déplace son centre de gravité. La
déroute. L’égare. Désorientant en profondeur ses moindres perceptions :
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
jeudi 14 juin 2018
mardi 12 juin 2018
"LA PUISSANCE D'UNE MOUCHE SUR LE PARE-BRISE D'UNE PORSCHE". À LIRE À LA BOUCHERIE LITTÉRAIRE !
Il y a un problème avec le mot poésie : c’est
qu’appliqué à quantité de choses qui n’en sont pas, ce terme leur confère d’ordinaire une forte
valeur ajoutée alors que la chose ou les choses, restons vague, que ce terme en
principe désigne, souffrent publiquement d’une cruelle désaffection. Bref, la
poésie, il semble qu’on en ait d’autant plus plein la bouche qu’on n’en lit
dans le fond jamais.
De cet amer constat, le livre de Marc Guimo que
vient, à sa manière un peu provocatrice, de sortir pour le Marché de la poésie
qui s’achève, la Boucherie littéraire,
tire une suite de variations qu’on pourrait presque dire désopilantes, si l’on était certain que le lecteur pouvait se
rappeler l’origine médicale de ce mot. Car c’est vrai qu’avec cette espèce de
liberté relâchée de ton et de langage, cette prise plus directe sur la
trivialité de nos existences quotidiennes, par laquelle un certain nombre de
jeunes auteurs entendent se démarquer du style un peu guindé, gourmet, un brin
Guermantes et constipé qu’ils prêtent sans trop les connaître à leurs aînés, l’ouvrage
de Guimo fait du bien et désobstrue un peu les rates, même si pour finir on
peut sans doute lui préférer les réflexions et les confidences autrement plus
élaborées et nourrissantes qu’on trouve par exemple dans l’Écrire et surtout le Basse langue de Christiane Veschambre, parues ces derniers temps, chez Isabelle
Sauvage.
lundi 4 juin 2018
D’HANNAH. D’AHAN ! SUR OISEAU-MOI D’ÉDITH AZAM. LANSKINE.
![]() |
Détail d'une toile du peintre Yves Loubeyre |
« Assise au bord de l’eau » Edith Azam compose à l’intention
d’une qui lui « fait couteau dans le
cœur » et qu’elle appelle Hannah,
une chanson de Mal-aimée qui retrouvant au passage quelques accents apollinariens
secoue par ce qui s’y livre de détresse authentique et d’impuissance à la
savoir dire. Toute nue et entière. Par une succession de poèmes aux vers
généralement courts et saccadés, d’ahan,
elle tente d’arracher son chagrin à sa « langue de terre ». Pour reprendre son vol. Se reconfondre à cette femme-oiseau partie quelque-part bien trop loin, emportant sa
part d’elle. Et ce n’est pas si doux. Et ce n’est pas si tendre, ce
désarmé, désaimé lamento d’amante et de poète à qui l’on a rogné les ailes : ce
presque chant rompu n’élevant vers le ciel qu’un seul mot.
Solitude.
vendredi 1 juin 2018
SUR UN POÈME D’ETIENNE FAURE TIRÉ DE TÊTE EN BAS, GALLIMARD, 2018.
De livre en livre. De poème en
poème. Et dans toutes les postures, comme ici tête en bas, Etienne Faure fore un peu plus tous les bois de la
langue. Jusqu’à s’y éprouver termite. Ou plutôt lucifuges, individu pluriel : ces insectes dévorant ne se
vivant qu’en groupes. Pour s’entregénérer mieux. Cela nous donne une succession
de galeries par lesquelles s’enfoncer en phrases toujours recommencées, dans
les communs affects de la vie et des choses qui passent. Des vies, des choses
ayant saveur de passé. Et d’histoire. La dure friabilité aussi de tout ce qui
depuis longtemps s’est vu creusé puis évidé en nous. La seule consistance
demeurant celle de ces obstinées cheminements ou pour le mieux dire, ces sapes.
Par quoi le petit grand monde versicolore que fait en nous notre existence, chez
lui se réduit lentement mais sûrement, c’est un maître, en sa poudre de mots.
jeudi 31 mai 2018
SI RIEN MAJUSCULE N’ÉCARTE. SUR LA RENCONTRE EN MILIEU SCOLAIRE.
Que nous ayons à renfermer dans des petites
boîtes
(Ou dans des grandes),
Et que nous ayons à conserver dans (de) l’huile rance
Comme les momies d’Égypte.
[Il], ne nous a point donné des
conserves de paroles
A garder,
Mais il nous a donné des paroles vivantes
A nourrir.
[…]
Les paroles de (la) vie, les paroles vivantes ne peuvent
se conserver que vivantes,
Nourries vivantes,
Nourries, portées, chauffées, chaudes dans un cœur
vivant.
Nullement conservées moisies dans des petites boîtes
en bois ou en carton. »
Charles
Péguy
Le porche du mystère de la deuxième vertu
Bien souvent j’aurais, dans ce
blog comme dans celui dont il a pris la relève, fait l’éloge de la rencontre.
Celle que nous promouvons et encadrons. Avec des auteurs et des êtres vivants.
Dans des écoles animées par un réel souci d’ouverture à l’art perçu comme un
vecteur privilégié d’élargissement et d’approfondissement d’être. Et cela ne
m’a jamais empêché d’en constater le caractère illusoire dès lors qu’il ne
s’agissait, en matière de poésie contemporaine, que de rencontres ponctuelles.
Sans précédent. Comme sans suites. Non portées. Non vécues.
lundi 14 mai 2018
SÉLECTION 2018-2019 DU PRIX DES DÉCOUVREURS. UN CHOIX DIFFICILE.
Difficile encore cette année
d’établir de façon définitive notre sélection pour le Prix des Découvreurs
2018-2019. Choisir c’est bien entendu
exclure. Un crève-cœur quand on se voit obligé de renoncer à sélectionner des
textes qui nous sont chers mais qui nous feraient sortir des principaux
impératifs que nous nous sommes fixés et qui avec le temps sont devenus plus
clairs.
D’abord il nous fallait comme
toujours proposer aux jeunes que leurs professeurs feront participer, des
textes témoignant de la profonde diversité des écritures contemporaines. Et du
profond renouvellement tant formel que thématique que ces écritures ont
maintenant depuis longtemps introduit par rapport aux formes toujours mises à
l’honneur au sein de l’institution scolaire.
vendredi 11 mai 2018
DANS LA CHAIR DU POÈME. NI LOIN NI PLUS JAMAIS D’ISABELLE LÉVESQUE.
Lorsque je serai mort depuis plusieurs
années,
Et que dans le brouillard les cabs se
heurteront,
Comme aujourd’hui (les choses n’étant pas
changées)
Puissé-je être une main fraîche sur quelque
front !
Oui. C’est à ce vœu émis, il y a plus d’une
centaine d’années par ce magnifique
poète que fut aussi Larbaud que je ne peux m’empêcher de songer à la lecture du
dernier livre d’Isabelle Lévesque, Ni
loin ni plus jamais, présenté en sous-titre comme une suite pour Jean-Philippe Salabreuil. Belle chose en effet que cette
« main fraîche » passée par
un poète depuis longtemps disparu sur le front d’un poète vivant. Que cette
transsubstantiation qui fait ici que le verbe se fait chair. Et que ce qui
était apparemment mort redevient dans un geste et pour un instant, vie.
Seulement, contrairement à ce qu’imagine l’auteur
des Poésies de A.O. Barnabooth, les
choses ont aujourd’hui bien changé et si les brouillards demeurent - encore que
ceux de Londres qu’il évoque se soient considérablement réduits – les formes
poétiques et les goûts de nos contemporains ont terriblement évolué. Au point
de nous rendre certains textes moins aisément lisibles.
mardi 8 mai 2018
INSCRIPTIONS IRLANDAISES. LA PIERRE À 3 VISAGES DE FRANÇOIS RANNOU.
![]() |
Pierre oghamique |
Je ne sais si cette attitude est
partagée par beaucoup mais je me fiche de plus en plus de démêler à propos d’un
poème ce qui s’y est écrit de l’intérieur,
dans une espèce de « transparence
centrale », de ce qui lui est venu de l’extérieur dans une sorte d’abandon, plus ou moins improvisé, à
l’imaginaire de la langue. Dans un texte réussi et qui compte, les deux
également importent. Et rien de « central »
n’y remonte en surface qui n’y ait été en partie invité par cette vivifiante et
créatrice déprise apparente de soi que permettent les mille et une
sollicitations de l’écriture. Compte pour moi qu’un poème ait une odeur. Qu’il
sente ou non la tourbe ou la bruyère. Que je l’éprouve animé de vie propre.
Qu’elle soit ardeur ou torpeur. S’enfonce dans les chemins tranquilles d’une
campagne solitaire ou s’agite sur les quais bruyants empestant la saumure ou la
bière, d’une ville étrangère.
Non que je désire que le poème me
décrive. Figure. Il n’y a pas, je crois, de poésie descriptive. Mais j’attends
que les matériaux qu’il utilise me rendent au vivant qui renverse. Dans une
certaine épaisseur d’être. Qui aille avec le sentiment d’une approche tentée.
Toujours recommencée.
jeudi 29 mars 2018
AMANDINE MAREMBERT, PRIX DES DÉCOUVREURS 2018.
C’est à Né sans un cri, un ouvrage d’Amandine Marembert publié aux éditions des Arêtes, qu’ira le
prix des Découvreurs 2018. J’ai eu déjà l’occasion de dire ici le bien que je
pensais de cet ouvrage qui au-delà de ses grandes qualités littéraires, ce qui
n’est pas toujours le souci premier de la plupart de nos jeunes lecteurs,
témoigne d’une profonde sensibilité à une question à laquelle ces derniers se
montrent généralement plus réceptifs, qui est celle de la différence. De notre
capacité aussi à comprendre, à accueillir l’altérité. De la plus ou moins
grande plasticité intérieure qui nous est nécessaire pour ne pas ériger notre
mode particulier et plus ou moins commun d’être, en absolu.
![]() |
Amandine Marembert |
Ce sont les poètes, les vrais,
qui parlent le mieux de leurs confrères. Ainsi c’est à Christiane
Veschambre, à la façon dont elle a su me donner envie de la lire, que
je dois de m’être penché avec plus d’attention sur le travail d’Amandine
Marembert. Aussi, rien ne me réjouis donc plus aujourd’hui que la perspective
de voir Amandine et Christiane, rassemblées le vendredi 13 avril à
Boulogne-sur-Mer, la première pour recevoir son Prix, la seconde pour nous
parler avec son compagnon Aimé Agnel, de Paterson,
ce beau film de Jarmusch auquel elle vient de consacrer Ils dorment, un court mais bien émouvant texte, à l’Antichambre du
Préau.
dimanche 25 mars 2018
REFAIRE PASSER LA MORT DU CÔTÉ DE LA VIE. UN BOUQUET POUR LES MORTS. ENTRETIEN AVEC GEORGES GUILLAIN.
Quelle est l’origine profonde de ton livre ?
Qui ne sait qu’en matière d’art,
et la poésie est avant tout un art, l’œuvre est plus souvent le fruit d’une
poussée, d’un entraînement inconscient de toute la pensée sensible qu’une
opération préméditée dont l’esprit aura dès le départ pesé les principaux aboutissants.
Un Bouquet pour les morts est de ces livres dont le sens ne m’est
apparu que bien tard. Et qui réellement s’est fait, pourrais-je dire, de
lui-même, entendant par-là que c’est en réponse aux progressives et multiples
sollicitations des divers éléments qui lentement s’y sont vus rassemblés, qu’il
s’est trouvé prendre figure.
En cela ce livre est un livre
vivant.
Oui mais dans l’adresse finale au lecteur tu le relies clairement à
tous les disparus de la Grande Guerre. Et la plupart des poèmes qui composent
ton Bouquet sont dédiés à des soldats de diverses origines qui ont trouvé la
mort à l’occasion de ce conflit. Tu dis aussi dans cette adresse qu’ils sont
comme une réponse à l’invitation que tu as découverte sur le fût d’une colonne
élevée à la mémoire des soldats russes venus combattre pour la France, de leur
offrir « quelques fleurs ».
C’est vrai. Mais si le livre se
présente effectivement comme une offrande aux morts de la première guerre mondiale
et évoque certains des lieux où ils reposent – vallée de la Somme, plaine de l’Aisne,
cratère de Lochnagar, Ferme de Navarin, Main de Massiges, plateau de
Californie, cimetière de Craonnelle … - il se présente de toute évidence beaucoup moins
comme le rappel des horreurs dont ces paysages furent en leur temps le théâtre
que l’évocation de la relation affective, charnelle, que les disparus dont il
fait état auraient pu entretenir heureusement, pleinement, avec le monde si la
sauvagerie de la guerre n’avait cruellement
mis un terme à leur espérance légitime de vivre.
Car c’est bien de l’intérieur de
ma vie propre, de la relation particulière que j’entretiens avec ce qui
m’entoure, m’émeut et me nourrit que cet ouvrage, peut-être, approche quelque
chose de l’existence de ceux que je fais figurer dans ses pages.
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