Richard Powers, L’Arbre Monde
J’avais rapidement signalé, je crois, lors de sa récente
sortie, l’importance à mes yeux, de la publication par le corridor bleu
du premier livre traduit en français de la poète américaine Sharon Olds.
Depuis, je constate avec plaisir que cet ouvrage ne laisse pas indifférent et
qu’il semble, si l’on en croit les notes de lecture qui lui sont consacrées,
trouver dans différents milieux, des lecteurs attentifs.
ODE AUX TRENTE-HUIT DERNIERS
ARBRES VISIBLES
à NEW YORK DEPUIS CETTE
FENÊTRE
Mille fenêtres les toisent.
La cime de l’un d’entre eux
ressemble à une montagne de granit
qui s’effrite, par strates, en un
millier de respirations
chaque jour. Un autre, vu
d’en-haut, a l’air d’une bombe,
d’un obus explosant en un millier
de pétales.
Celui-là, c’est une florissante
colonie de fourmis
vertes, broyant du bois, un
millier d’ouvrières ;
celui-ci, on dirait un essaim de
chrysalides qui se tortillent,
et cet autre ressemble à
l’explosion d’un pétard, vert vif, un
idéogramme chinois nettement
dessiné sur chaque fragment, un
millier de mots,
et cet autre encore, à un millier
de grues de papier,
émeraudes ou jaunes. Il y a des
centaines d’années,
par ici, on utilisait le frêne
pour faire
un sucre rude, plus tard pour
faire
des battes de base-ball, et de
l’autre côté du Pacifique
les États-Unis imprimèrent des
silhouettes humaines,
comme des frênes en cendres, sur
les trottoirs. Les épines
du févier d’Amérique servaient
d’aiguilles, de pointes de lance,
le robinier, de piquets de
clôture — et le lièvre
variable, la tourterelle triste,
en mangeaient
les graines. Les chênes donnaient
des glands, pour manger,
et pour engraisser les porcs — «
la loi prévoit
que quiconque détruit ou blesse
sans raison
un chêne paiera une amende en
rapport avec la taille de
l’arbre et de sa capacité à
porter des fruits. »
Maintenant ce que font les
arbres, surtout,
c’est : respirer avec nous, nous
offrir une respiration
artificielle naturelle.
Ils seront tous coupés à la
taille, les branches
partiront avec les jambes et les
bras, comme toujours,
dans la broyeuse.
L’orme, qui jadis nourrissait la
perdrix et l’opossum,
s’en sort tout seul, tant qu’il
le peut encore,
il n’assistera pas au massacre,
il est mort la semaine du décret.
Plusieurs de ceux qui font les
décrets vivent à portée de vue
de ces êtres antiques, et l’un
d’eux,
qui voit ce bosquet chaque jour,
a le
pouvoir d’empêcher ce bûcher, de
faire respecter
sa tutelle sur cette tonnelle,
sur cette terre
et sur l’air, et sur l’eau, sur
ce feu verdoyant.
[1] Qui se
termine par ces vers :
Et maintenant j’étais assise juste
à côté de lui, avec l’impression de remonter
d’espèces en espèces,
vers le pin et vers
celles dont nous
descendions tous les deux, la
fougère, la cellule
verte – le soleil,
la matière d’étoiles
dont nous sommes faits.
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