Bien entendu encore, notre esprit est complexe. Et le monde,
si l'on en croit les journaux mais aussi l'innombrable littérature, n'est pas
non plus tout simple. Et c'est pourquoi les tout derniers poèmes de Pierre
Garnier qu'on trouvera dans (louanges) ont ceci à nos yeux d'irremplaçables:
ils manifestent à quel point la poésie n'a pas besoin d'être laborieuse,
intellectualisée à l'extrême, pour exister. Qu'elle est capable de parler au
vieillard aussi bien qu'à l'enfant. A celui qui dispose d'un réservoir de
quelques milliers de mots comme à celui qui n'en maîtrise encore que quelques
petites centaines. Nous ne voulons pas faire ici l'éloge de l'ignorance. Et de
la facilité. Ni de l'antiélitisme primaire. Nous savons à quel point la
connaissance élève. Mais à la condition qu'elle soit accompagnée d'une
véritable sensibilité. Qu'elle conserve son inquiétude. Sa capacité aussi à
toujours s'interroger. S'émerveiller. Dans le souci d'atteindre une plus grande
liberté.
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
jeudi 15 octobre 2020
RELIRE ! PIERRE GARNIER: UNE LIBERTÉ EN MOUVEMENT
lundi 28 septembre 2020
RECOMMANDATION. L’AUTRE JOUR DE MILÈNE TOURNIER AUX ÉDITIONS LURLURE. FORCE ET FRAGILITÉ DES PAROLES VIVANTES.
Milène Tournier est une jeune femme de 32 ans, titulaire
d’un doctorat en études théâtrales. Ses figures de référence sont le Rimbaud
des fugues puis du grand rêve d’Afrique, l’Antigone antique aussi, qui creuse
avec ses ongles pour « déraciner les lumières ». L’autre
jour, que viennent de publier d’elle les éditions lurlure, est quasiment
son premier livre, le précédent, Poèmes d’époque, publié dans la riche collection
Polder de la revue Décharge qui l’aura fait découvrir, n’étant qu’un livret ne
présentant d’elle qu’une trentaine de pages.
Disons le, il y a quelque chose de l’adolescence éternelle
dans cette parole qui conjugue tout au long de ce livre, un désir infini
d’expansion [1], faisant
continuellement fi des limites couramment admises de notre condition, et un besoin
tout aussi dévorant d’amour, d’attachement, de repli et de protection. Tout ici
jusqu’à la façon qu’a son auteur de passer sans solution de continuité de la
prose au vers, d’émouvoir la syntaxe, d’en déplacer les plis, sans pour autant
chercher à trop s’en affranchir, témoigne de cette nécessité funambule d’accueillir
pour les porter en soi les contraires. Au risque bien sûr de se briser.
En fait, je connais peu, de textes aussi bouleversants que
ces Poèmes de famille, par quoi Milène Tournier nous fait entrer dans
son livre. Et ces quelques pages où se dit, dans l’angoisse profonde d’avoir à
les perdre un jour - source pour elle d’un sentiment de vulnérabilité extrême -
la puissance de son attachement au père comme à la mère, empoigneront, je pense, plus d’un lecteur lassé comme moi des développement convenus qui prolifèrent
sur le sujet.
On m’enterrera sous une autre époque que celle sur laquelle tout à l’heure je suis née. Mes mains ont cherché le visage de ma mère, le trou dans la vitre. Sur les tables à langer officielles ou de fortune, aire d’autoroute, lit d’invité, et pour que ne criât plus ma bouche qui criait, son nez a lu mon front de droite à gauche, de gauche à droite, comme une langue s’indécise. Trente ans durèrent trente ans. Mes bras prennent des bras dans leurs bras le soir, quand la lune prend le ciel. Il y a quelqu’un, précis comme un miracle, entre la lourde vitre du monde et le long trou du moi. Ma mort aura bientôt étalé et rapproché mes dizaines. Les mondes sont de très grands prématurés. J’attends ensemble la fin de la fin du monde.
Maman je sais, un jour tout
disparaît
Comme quand tu descends chercher
la voiture au parking
Et moi j’attends en haut.
[1] On en
prendra pour seul exemple la série des rêves de quarantaine confinée qu’elle
décline dans le dernier ensemble du livre…. Ainsi que la page que nous
proposons de découvrir en extrait.
vendredi 25 septembre 2020
RECOMMANDATION. TOUJOURS L’INCONNU DE YANNICK KUJAWA.
En choisissant de faire entendre le monologue intérieur
d’une poignée de participants à cette rencontre que l’on peut toujours écouter
en cherchant un peu sur le net, Yannick Kujawa dont on sait l’attachement très
personnel qui le lie au bassin minier dont il a fait le cadre non seulement historique
et sociologique, mais aussi affectif de ses précédents romans, nous invite à
comprendre qu’au-delà de leur signification, disons intrinsèque, à supposer
d’ailleurs qu’il en existe une, les œuvres littéraires, romans ou poèmes, voire
essais, ne sont surtout pour leurs lecteurs qu’une occasion de relancer en soi,
et par un jeu constant d’associations, pas toujours prévisibles, toute une
activité psychique. Singulière et débordante [1].
Et c’est la belle idée de Yannick Kujawa que d’avoir imaginé
à partir de ce que nous révèle l’enregistrement radiophonique de la rencontre, cette
riche vie intérieure dont s’accompagnent les interventions de ses personnages,
épouses de mineur, mineurs eux-mêmes, étudiant qui a perdu son père à la mine,
ingénieur, et entraîné par la fiction, d’avoir jeté la lumière sur l’humanité
profonde, la dignité, de ces personnes que l’émission qui les donne à écouter,
ne pouvait que voiler.
Car il y a quelque chose d’un peu pervers dans cette
rencontre qui procède sûrement des meilleures intentions. Envoyer sans prévenir
un écrivain de la stature de Marguerite Duras, faire parler ex abrupto
les habitués d’une bibliothèque populaire perdue au fin fond d’un bassin
minier, à partir de textes inconnus, de Michaux, de Melville ou d’Aimé Cesaire,
c’est les plaçant dans une double ou
triple situation d’infériorité, rejouer en fait, sur le plan culturel, la
vieille scène bien connue du gentil colonisateur sensé, même s’il s’en défend,
se trouver du côté des Lumières. À
cet égard, le redoutable magnétophone Nagra dont il est régulièrement fait
mention dans le livre n’est pas sans me faire penser à ces appareils photos
dont nos anciens explorateurs avaient soin de se munir pour ramener chez eux
leurs fameux clichés ethnographiques.
De cela les personnages de Y. Kujawa sont bien conscients
eux qui se trouvent bien entendu flattés de l’intérêt qu’exceptionnellement on
leur porte, mais qui s’inquiètent des stéréotypes à travers lesquels
ils risquent d’être largement perçus [2].
Alors si certains se laissent aller à leur habituelle propension au bavardage, d’autres
préfèrent se réfugier dans un silence qui dissimule les réflexions les plus
profondes. Ainsi Michel :
On peut tout de même se
demander pourquoi les Parisiens sont venus précisément dans notre bibliothèque.
J'imagine qu'ils ont des contacts syndicaux, politiques. À moins que ce soit
France Culture qui se soit occupé de tout ça, qui ait passé un coup de fil. En
tout cas ils auraient pu se rendre dans une autre ville, une autre cité, et
c'est tombé sur nous. Je ne m'en plains pas, ils se montrent avenants, ils font
en sorte que ça parle, que ça réfléchisse, mais on se retrouve à représenter
une communauté entière sans avoir rien demandé. C'est une responsabilité. Je ne
dis pas que les intentions étaient mauvaises, seulement les actes ont des
conséquences. Si des gens des Mines écoutent l'émission ils auront forcément
quelque chose à redire. Pas par jalousie, non, parce que nous ne représentons
que nous-mêmes. On se retrouve à parler pour les autres, en quelque sorte, on
parle à leur place, même moi qui ne parle pas [3].
Cette histoire risque de nous retomber dessus.
Et c’est cela peut-être la grande leçon qu’on peut tirer du
livre de Yannick Kujawa. C’est que s’il n’y a pas comme l’écrit Marguerite
Duras de « petites gens », il n’y a pas non plus de gens du
Nord, de mineurs, de femmes de mineurs, d’ingénieurs, comme il n’y a pas non
plus d’écrivains, de producteurs de radio, il n’y a que des individus, des
personnes, dont chaque histoire est singulière, chaque sensibilité et chaque
intelligence possède ses propres caractéristiques. Derrière ce qu’est venue
chercher l’équipe de France Culture, l’image globalisante d’une « espèce »
sociale étrangère à son propre « habitus » parisien, image que
l’émission enregistrée est sensée figer et même un peu rectifier au montage,
existent dans la réalité des êtres dont le secret ne peut si facilement se
livrer. Que le romancier, lui, peut sans doute comme il le fait ici approcher
davantage. À la
condition de leur laisser toujours leur part irréductible d’inconnu. D’inconnu oui.
L’inconnu. Toujours et toujours l’inconnu.
[1] Yannick
Kujawa est aussi professeur de lettres en lycée. Tous les professeurs devraient
lire ce livre qui leur fera sentir comment un texte découvert en classe par
leurs élèves peut-être éprouvé de l’intérieur par chacun d’eux y compris par
ceux qui restent toujours muets. Personnellement c’est toujours ce type d’appropriation
qui en classe m’a paru le plus fécond du point de vue de l’enrichissement
personnel des jeunes que j’ai eus devant moi. Plus que le fameux dressage
herméneutique qui a bien sûr aussi son intérêt mais davantage d’un point de vue
technique et intellectuel que d’un point de vue humain.
[2] Surtout
à une époque où l’industrie touristique n’a pas encore suscité d’attrait envers
les régions marquées par un fort capital industriel ou populaire.
[3] Remarque qui concerne aussi bien entendu l’écrivain. Là est l’aporie à quoi se heurte ce type d’ouvrage c’est que pour donner corps à la parole profonde, intime de l’autre, il se voit obligé de parler à sa place.
lundi 21 septembre 2020
POÉSIE ÉTRANGÈRE. DEUX OUVRAGES À DÉCOUVRIR CHEZ LANSKINE.
Mais qu’en est-il ensuite de cette multiple parole ?
Dont c’est un lieu commun que de dire qu’elle reste aujourd’hui largement sans
écoute. Poète, finira t-il par devenir bientôt le nom de qui ne se parle qu’à
lui-même. Sans plus cet extravagant souci de se communiquer aux autres ?
Pourtant, j’aime assez ce que tente de faire comprendre le
poète américain Charles Olson dans Projective verse, quand critiquant ce
qu’il appelle le vers fermé ou les poètes du poème carré, pour ne rien dire de
ceux dont les poèmes ne seront jamais que pommades mielleuses, il écrit
qu’un poème en fait est « de l’énergie transférée », « de
là où le poète l’a trouvée » jusque vers son lecteur. Ce qui implique
que le poème n’est pas qu’un bel objet à contempler. Miroir ébloui de son
créateur. Mais une espèce de machine à secouer. À exciter. À fournir au lecteur,
comme on parle de fournisseur d’énergie, l’intensité qu’il recherche, d’une
émotion.
En ce sens les deux ouvrages que je viens de recevoir des
éditions LansKine qui s’imposent de plus en plus dans le paysage éditorial
actuel pour la façon dont elles savent accueillir les formes les plus diverses
de la créativité poétique sans la réduire aux frontières de l’hexagone [1],
ces deux ouvrages, donc, le premier d’un poète danois, le second d’un poète du
Cap (Afrique du Sud), sont parfaitement olsoniens. Projectifs. Le lecteur qui
s’y plongera ne manquera pas d’en être remué. Tant le courant qui les traverse
est fort.
Vache enragée [2], de
Nathan Trantraal, écrit dans une forme particulière d’afrikaans (le Kaaps)
utilisée par les « métis » des classes populaires du Cap,
témoigne à sa façon des ravages que la
politique d’apartheid pratiquée par l’Afrique du Sud et la misère
économique, sociale et morale qu’elle a générée, continue d’exercer sur
certaines couches – on voit bien entendu lesquelles - de sa population. Sur le mode souvent du
récit, proche de la courte nouvelle [3],
Nathan Trantraal, connu surtout pour être avec son frère André, auteur de
bandes dessinées, raconte et décrit sans en gommer les détails les plus crus et
les moins ragoûtants, les scènes effarantes, sordides mais parfois tendres ou
grandguignolesques, qui ont rythmé sa vie d’enfant et d’adolescent, mis en
contact permanent avec des êtres abîmés par l’alcool, la drogue, obsédés par le
sexe et le besoin d’argent (voir extrait ci-contre).
On le voit une telle parole n’existe pas que pour elle-même.
Elle porte témoignage et bien sûr dénonciation. Et sans nier la puissance
d’affirmation personnelle dont dans un tel contexte elle est bien sûr chargée,
sa visée reste bien évidemment de produire chez ses lecteurs quelque chose de
l’ordre du choc et de l’ébranlement. Qui sans rien céder à la sentimentalité
mièvre [4],
n’exclut pas une forme bienvenue d’humour noir. Et d’attachement.
L’ouvrage du danois Mads Mygind, J’écris pour le matin
clair, pourra paraître plus intimiste au regard de son collègue du Cap dont
il se rapproche toutefois par une utilisation du vers comme forme très libre de
prose coupée. Privilégiant également le récit, plongeant le lecteur dans un
univers social globalement peu réjouissant ce n’est toutefois pas par là qu’il
retient le lecteur. Effectivement, alors que les textes de Nathan Trantraal
sont essentiellement de l’ordre du regard [5],
de le re-création sociologique à vocation finalement documentaire et critique, ceux
de Mads Mygind, plus intériorisés, tiennent eux de la conscience sensible, s’éprouvant
au jour le jour, sans autre projet manifeste que de « s’appliquer à
vivre quelque chose ». Tout, même le plus important, y est dit « juste
comme ça » sans particulièrement viser ni à la profondeur, ni à
l’authenticité. Sans rien en tout cas du pathos par lequel certains croient
établir la preuve de leur abstraite sensibilité.
Qu’il mentionne l’amputation d’une tante, une femme qui se
casse la jambe en descendant d’un bus, une idylle qui se rompt, un sac
plastique qu’on agite au matin, une nuée d’oiseaux qui s’envole, un gamin dans
le bus déclarant que tout est vrai, le froid qui paraît plus vif au-dehors qu’à
l’intérieur du réfrigérateur, une vieille femme ayant peint sa télé en rayures
noires et blanches, les hommes politiques qui blablatent à la télévision, une
pomme à quoi il finit par penser tandis que tant d’autres choses se déroulent
et continuent autour de lui leur existence, Mads Mygind propose une poésie
qu’on dira paratactique dans la mesure où chez lui tout apparaît au
premier plan sans que rien d’explicite y vienne introduire un semblant de
hiérarchie. Ou imposer une idée forte. Ainsi fait-il s’enchaîner, et sans
toujours de lien apparent entre elles, notations, impressions, réflexions, qui
par leur vitesse, leur allant, leur façon de sauter de l’une à l’autre dans une
sorte de zapping permanent, si ce n'est même d'urgence [6],
me rappellent un autre précepte d’Olson, valable d’ailleurs aussi bien,
pensait-il, pour la vie que pour le poème : « UNE PERCEPTION DOIT
IMMEDIATEMENT ET DIRECTEMENT MENER À UNE NOUVELLE PERCEPTION. Ça veut dire
exactement ce que ça dit, qu’il s’agit, en tous points […] d’avancer,
continuer, vite, les nerfs, leur vitesse, les perceptions, même chose, les
actions, les actes au quart de tour, tout le bastringue, fais-moi avancer tout
ça aussi vite que possible, citoyen. »
S’ensuit que l’attention du lecteur se voit constamment éveillée, renouvelée, surprise. Et que, sans avoir à faire d’efforts particuliers pour en décoder la lettre, toujours résolument claire, ce même lecteur peut s’il le veut, faire par le poème, l’épreuve féconde toujours pour lui d’une double étrangeté : celle d’un être qui n’est pas lui mais dont, tout au fond, il est amené à se sentir le semblable [7], celle aussi plus subtile, de l’inquiétante proximité, pour chacun, de la vie de partout qui déborde. Ce à quoi la parole tente, sans en rajouter, de faire contrepoids, comme le montrent, je crois, les dernières lignes du livre :
je suis assis à la table de la
cuisine et pense à mon grand-père
il est mort aujourd’hui
il est 3h37
j’écris pour le matin clair
[1] On
notera que ces 2 ouvrages sont donnés en édition bilingue, chose suffisamment
rare pour être non seulement signalée mais saluée. Le premier, celui de N. Trantraal
dans une traduction de Pierre-Marie Finkelstein, le second, de M. Mygind, dans
une traduction de Pauline Jupin réalisée avec le concours de Paul de Brancion.
[2] Le titre
original de l’ouvrage paru au Cap en 2013,
Chokers en Survivors, renvoie aux tartines (chokers) de
beurre de cacahuète avec de la confiture que le gouvernement sud-africain distribua
à une certaine époque aux enfants des quartiers pauvres. Dans le poème qui
porte ce titre à la fin du recueil, l’auteur évoque un jeune drogué qui lui
rappelle le quatrième frère des Bee Gees, celui dit-il qui est mort d’une
overdose de cocaïne. Ajoutant à son propos : « c’est comme s’il
n’était pas mort/ comme s’il était v’nu à Lavis/ s’était noirci le visage/ et
avait payé la famille de ma mère pour qu’ils disent qu’il était leur frère//
comme s’il avait troqué sa coke contre des pilules de mandrax/ son champagne
contre une bière/ sa villa contre une maison miniature/ sa beauté contre une
bête/ la scène contre le chantier naval/ les feux de la rampe contre
l’obscurité/ le succès contre l’échec/ et le caviar contre des tartines de
beurre de cacahuètes avec de la confiture »
[3] C’est là
sans doute l’une des limites de cette forme de poésie à laquelle les puristes
reprocheront de ne pas davantage exister comme le voulait d’ailleurs aussi
Olson, pour l’oreille. L’oreille entendue ici comme puissance génératrice d’un
sens non prémédité. Vue dans sa dimension, pour le poète, exploratrice.
[4] comme
l’écrit lui-même Nathan Trantraal : « s’il y a bien une chose sur
laquelle on est tous d’accord/ c’est qu’on déteste tout ce qui est sentimental ».
[5] Il faut
néanmoins prêter attention au fait que le regard posé par Nathan Trantraal sur
le milieu dans lequel il a grandi est en fait un regard transposé, qui fait que
le poème repose toujours sur un certain art de la mise en scène. C’est un
adulte qui écrit pour l’enfant et l’adolescent qu’il se souvient avoir été et
de manière bien sûr à ce que la scène qu’il reconstitue produise un certain
effet.
[6] Que symbolise bien sûr ce passage où l’auteur évoquant des bouleaux brillant le soir dans un cimetière, précise qu’il écrit un poème sur l’un d’eux « sans pouvoir attendre qu’il soit devenu papier ».
[7] Voir p.
23 : « j’ai l’air si confus/ dans la pénombre/ tout au fond/ je
ressemble à un million/ d’autres »
mardi 15 septembre 2020
DEVENIR BLOCKHAUS. SUR LE DERNIER LIVRE DE MAUD THIRIA PARU CHEZ ÆNCRAGES & CO.
enfant tu te demandes
si toutes les maisons ont
leur repli
leur terrain de jeu de guerre
et leur cachette ouverte
qui ne serait pas celle des
greniers
des dessous d’escaliers
obscurs
tu te demandes
si dans toutes les maisons
on se tient voûté
tapi
là par effraction
Tous les enfants le savent. Chaque maison recèle en elle ou
dans son voisinage proche un lieu dont il peut faire son espace à lui, où
échapper au regard des autres et donner libre cours à son imagination. Et rien
n’est plus certain que ces espaces nous marquent et peut-être en partie nous
façonnent. Comme l’affirme Bachelard, ce grand explorateur de l’imagination
matérielle, « tous les espaces de nos solitudes passées, les espaces où
nous avons souffert de la solitude, désiré la solitude, joui de la
solitude, compromis la solitude sont en nous ineffaçables […] très
précisément l’être ne veut pas les effacer. Il sait d’instinct que ces espaces
de sa solitude sont constitutifs. Même lorsque ces espaces sont à jamais
rayés du présent, étrangers désormais à toutes les promesses d’avenir, même
lorsqu’on n’a plus de grenier, même lorsqu’on a perdu la mansarde, il restera
toujours qu’on a aimé un grenier, qu’on a vécu dans une mansarde. [1]»
Alors, qu’ayant établi, enfant, son propre espace de repli,
à l’intérieur d’un blockhaus, conservé parmi les ronces tout au bout du
jardin familial, Maud Thiria le transmue aujourd’hui comme l’écrit Jean-Michel
Maulpoix, « en lieu mental et en [fasse] la table d’orientation
de son écriture » n’a rien finalement pour surprendre. Si ce n’est que
le choix d’un tel lieu n’est pas chose courante.
Dans son étrangeté et la dureté de ses consonnes centrales,
le mot même, blockhaus, a quelque chose d’âpre, de calleux [2]
que la rudesse de matière et de forme de la chose n’a rien pour compenser. Sans
compter ce que l’on sait de sa sinistre histoire. Ainsi, pour l’auteur qui tente
dans son livre de rendre compte des marques que son blockhaus aura
imprimées en elle, rassemblant pour commencer les souvenirs conjugués du bloc
inhumain de béton barbelé et des diverses formes de vie végétale parmi quoi il
se trouve en partie enfoui, orties mais aussi groseilles, il importe de
comprendre qu’elle a toujours penché du côté des « textures rugueuses »
et que quelque chose peut-être du lieu plus vaste qui l’a vu vivre enfant, la
Lorraine, terre de guerres s’il en fut, l’a comme prédisposée à porter ces
ombres de l’Histoire, tout à l’intérieur d’elle.
On le voit, le parti pris par le livre de Maud Thiria, a
quelque chose de profond et d’ambitieux. Touchant à ce qui, dans le temps long
des choses, nous construit. Ce que vient d’ailleurs souligner la belle page de
remerciements qui commence par évoquer ses « ancêtres lorrains, les
enfermés en forteresse, les peintres verriers dont [elle dit suivre] la lignée
d’ombre et de lumière ».
On ne saurait toutefois évoquer cet ouvrage sans préciser la
nature proprement exploratrice et la puissance de pénétration dont le mot-titre
Blockhaus se trouve clairement investi tout au long de ce livre. Tantôt
perçu comme substitut du ventre maternel où trouver à se blottir, tantôt
éprouvé tout au fond de soi dans sa nature étrangère comme une sorte d’alien,
ou un cheval de Troie, ce mot qui aux yeux de l’auteur semble parfois contenir
tout le reste, se trouve en effet comme relié à toutes les dimensions de sa
vie. Comme on le sait les mots effectivement ne sont pas sur nous sans
résonances. Certains plus que d’autres irradient leur charge multiple et
complexe de significations ordonnant autour d’eux notre perception intime des
choses. Ainsi, lié bien sûr, comme on l’a dit, aux plus grandes atrocités de
l’histoire, ce terme ennemi de blockhaus, en véritable pharmakon,
s’impose également aux yeux de l’auteur, comme forme métaphorique condensée l’aidant
à reconnaître en elle cette armure sensible et mentale dont elle éprouve le
besoin pour échapper au vide. À la coulée en soi de l’informe.
tu sens à son contact
ce mot te structurer
face à la brutalité du monde
armer tes chairs
face au vide des matières
molles
où coule l’informe
non-dit
du béton s’arme l’acier
et ton bras
prêt à l’envol
C’est que l’étranger, l’ennemi, n’est peut-être pas toujours
ce qui cherche à nous détruire. À
la lourde évidence des perceptions communes qui rassemblent dans l’illusion d’un
monde partagé, l’auteur oppose finalement, à travers la succession de ces courts textes
ramassés, ses poèmes-blockhaus, où l’os de l’idée perce trop vite, peut-être,
la chair sensible de l’écrit, l’expérience intime du déchirement qui lui fait
finalement accepter sa différence, sa propre étrangeté. Devenue à son tour blockhaus,
il lui redevient possible de retrouver son jardin d’enfance puis, à travers
« les vieux murs fissurés » dans quoi l’être s’éprouve toujours
en partie reclus, accueillir dans son livre ses souvenirs comme autant de « trouées
de lumière/ inespérées ».
[1] Poétique
de l’espace.
[2] Dans une page de son livre M. Thiria s’interroge d’ailleurs sur les effets que ce mot, à la différence d’un autre, auront pu avoir sur elle : « s’il s’était appelé autrement/ ta vie aurait-elle été la même ?/ quelle vision pour la casemate au fond du jardin/ si le mot ne retient pas toute la brutalité du monde ? ».
lundi 14 septembre 2020
SUR LE NUMÉRO 41 DE LA REVUE CONTRE-ALLÉES. RECONNAÎTRE ET DÉCOUVRIR.
Edouard MANET, Branche de pivoines blanches et sécateur, Orsay |
C’est justement le propre d’une revue que d’y faire, sous un
même sommaire, se côtoyer des auteurs accomplis ou toujours en recherche, d’horizons
différents, qu’un lecteur tant soit peu averti, peut reconnaître mais aussi
découvrir. Sauf exception, ces numéros de revue n’ont rien d’impérissable mais
ils se sont faits pour quelque temps l’asile, le toit, d’écritures qui voient là
dans un monde toujours peu enclin à les accueillir, la chaleur réconfortante
d’un peu de reconnaissance.
Ce n’est pas rien pour moi que de lire ainsi dans ce dernier
numéro de Contre-Allées, les textes ô toujours combien savoureux d’un
Jacques Darras que j’ai le grand bonheur de connaître d’amitié depuis bien des
années et de découvrir quelques pages plus loin les poèmes tout neufs habités
de tendre mélancolie d’Anne Brousseau qui édita il y a une petite quinzaine
d’années l’ouvrage par lequel je me suis enfin reconnu vrai poète. Ses courts
textes sur les divers modes d’apparaître du jardin, la façon dont elle en fait
l’espace de confidences simplement murmurées, le fait de la voir se révéler à
son tour en poète, me touchent plus que je ne saurais dire.
Comme me touchent aussi les Poèmes à deux voix de
Christian Degoutte que je n’ai croisé qu’une fois à Montreuil-sur-Mer dans une
soirée poétique un peu étriquée comme il y en a tant, mais dont m’a plu
l’aptitude qu’il a à tisser entre les merveilles modestes d’une nature dont il
se sent proche et les profondes réalités de notre humaine condition, des liens
qui ne soient pas de simple jeu. Pour paraître et briller.
Je ne dirai rien de
la discrète vibrance des empathiques poèmes de Maud Thiria qui vient de
m’envoyer son livre Blockhaus publié par Aencrages & Co, que je me
propose de lire attentivement avant d’en formuler plus largement mon sentiment.
Ceux d’Isabelle Sancy et de Christine Bouchut que cette fois je ne connais
vraiment pas ne me semblent pas dénués de sensibilité ni, comme c’est le cas
naturellement des auteurs choisis par l’équipe de Contre-Allées, d’un
sentiment certain de la chose nature. Plus sec chez la seconde qui peut-être
aurait avantage à ne pas s’enfermer dans un vocabulaire à mon sens trop
générique. Plus large chez la première qui davantage joue des ressorts trop
souvent dédaignés de la ligne mélodique. Et bien sûr que j’aimerais pouvoir
être plus précis, plus attentif pour mieux parler de ce qui visiblement ici,
c’est-à-dire à l’intérieur de chacune de ces voix, a porté comme toujours de la
vie, de la vie éprouvée, vers son pendant hasardé de parole.
Puisse donc bien des voix plus autorisées que la mienne dire de leur côté tout le bien qu’elles pensent du numéro 41, de cette constante et bien fournie petite revue qui sans arrogance ni fanfaronnades et dans un bel esprit d’accueil, continue de porter haut son exigence de poésie.
vendredi 11 septembre 2020
SAUVER LES GRAINS DORÉS DU MONDE. DONA D’EMMANUEL MOSES CHEZ OBSIDIANE.
Dessin de Frédéric Couraillon pour Dona. |
Emmanuel Moses est un auteur prodigue chez qui la parole est si bien
aboutée à la vie et inversement que tout avec lui peut devenir poème et que chacun
de ses poème fait signe en profondeur vers la vie. Car rien n’existe jamais
qu’en surface pour lui. Un miroir dont le reflet qu’il vous renvoie perturbe,
le lourd langage des cloches que personne n’entend plus, les trompettes d’or du
soleil matinal succédant à la pluie du soir venue mouiller les rues, la
cigarette qu’une femme allume, sous une nuit de printemps toute brillante
d’étoiles, éveilleront chez lui autant d’échos qu’une page de Platon, ou une
autre de Goethe, ou les images revenues de ces fantômes chers dont les noms
connus et inconnus font l’objet de dédicaces qui de Michel Deguy à Pascale
Ogier, témoignent encore à leur manière de l’extrême diversité de ses
attachements. Mouvante et mosaïque, la poésie d’Emmanuel Moses se déploie par
ailleurs dans un vers qui n’étant – même souterrainement - marquée d’aucun
mètre évident, n’affichant aucun jeu de rime construit, suit comme un « mouvement
au-delà du mouvement » qui la rend plastiquement toujours inattendue,
tendant vers la pensée, sans que sa trompeuse facilité, sa grande liberté,
l’apparentent jamais à ce qui pourrait, chez d’autres, vite tourner au simple
bavardage.
Avec Quatuor, paru l’an passé au Bruit du temps, Emmanuel Moses
montrait à quel point son œuvre est occupée par la pensée de la mort. De la
perte. Et de la disparition. Avec Dona, qui est un livre moins construit
et sensiblement plus court, ne regroupant qu’une quarantaine de poèmes
dépassant rarement et de peu les limites de la simple page, Moses s’attache
davantage à mettre en évidence la « précieuseté » comme il aimerait
toujours qu’on l’appelle, de toutes ces choses, ces dons, par quoi peut se
goûter dans notre monde le bonheur d’être en vie. Empruntée à Virgile,
l’épigraphe qui donne son titre au recueil - Dona dehinc auro (ensuite
des présents d’or) – place d’ailleurs subtilement l’ouvrage tout autant sous le
signe de ces biens merveilleux qui nous sont offerts que de l’arrachement à
tout ce que d’un autre côté, aussi, on aime [1]:
le passage de l’Enéide auquel la citation réfère correspondant justement
au moment où son navire tout chargé des innombrables et somptueux présents que
ses proches lui ont offerts, le fils d’Aphrodite et d’Anchise doit pour
toujours quitter une patrie qu’il ne reverra plus.
Une sourde mélancolie vient donc le plus souvent voiler ces poèmes où ce
qui cherche à se célébrer apparaît généralement au passé comme dans ce beau
poème sur la neige, présenté en hommage à Clément Marot que j’invite le lecteur
à lire ci-contre dans sa totalité. D’autant que ce passé est historiquement aussi
lourd de toutes les catastrophes, les barbaries qu’aucun progrès ne peut nous
épargner. Ainsi, comme l’Angelus
Novus de Paul Klee que commenta Walter Benjamin [2],
la poésie d’Emmanuel Moses se porte vers l’avenir en se tournant vers le passé.
Ces « grains dorés du monde » qu’il importe toujours, malgré
tout, de sauver. Car si le paradis est
bien derrière nous,
son souvenir nous porte et nous entraîne
Sans lui que serions-nous qu’une bale de blé roulée par le vent ?
[1] Reproduits en noir et blanc, les
souvent énigmatiques et très beaux dessins de Frédéric Couraillon, qui accompagnent
l’ouvrage, sans en être jamais l’illustration mettent l’accent sur cette ambivalence
profonde. À travers le mouvement généralement appuyé de ses formes, les forts
contrastes de valeur qui cependant les équilibrent et les multiples suggestions
d’espace qui leur confèrent la plupart du temps une dimension cosmique.
[2] « Il existe un tableau de Klee qui s'intitule «Angelus Novus». Il représente un ange qui semble sur le point de s'éloigner de quelque chose qu'il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés sa bouche ouverte ses ailes déployées. C'est à cela que doit ressembler l'Ange de l'Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparait une chaîne d'événements, il ne voit, lui, qu'une seule et unique catastrophe qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite ses pieds. Il voudrait bien s'attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s'est prise dans ses ailes, si violemment que l'ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l'avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s'élève jusqu'au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. » Walter Benjamin. Sur le concept d'histoire, IX, 1940. Gallimard, Folio Essais, 2000, p. 434.
mercredi 9 septembre 2020
RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. PASTORAL DE JEAN-CLAUDE PINSON.
Paul SIGNAC, Au temps d'harmonie, Lithographie, Houston, Texas. |
Je sais gré, depuis de très longues années à Jean-Claude Pinson, d’avoir, notamment avec Habiter en poète et à une époque où cela ne semblait plus aller de soi, redonné foi en une poésie qui, sans bien sûr oublier les conditions essentielles de sa matière de langue, ne renonçait pas à se vouloir et se chercher toujours au monde, dans un souci permanent non de l’imiter, de le représenter mais de le refigurer de manière intelligente et sensible dans toute la puissance et la portée de l’élan créateur qui pousse l’homme à sortir de soi pour s’inventer une soutenable et vivante demeure. Pastoral que viennent de publier les éditions Champ Vallon, reste dans cette ligne par quoi la poésie, bien au-delà souvent des œuvres qu’elle produit, s’impose à mes yeux comme une politique profonde. Une forme particulière de santé. Á la fois physique et morale. Pour l’individu isolé comme pour la collectivité tout entière qui s’appelle l’Humanité.
En nous ramenant à ce lien essentiel que nous entretenons
avec la Nature, envisagée non comme ce pittoresque magasin d’images dont on
emprunte la marchandise pour produire des sentiments convenus, mais comme cette
puissance traversante de vie dont toute existence sur notre terre enfin procède
- Physis ou Gaïa, qu’importe – l’ouvrage de Jean-Claude Pinson fixe à la poésie
autre chose qu’une mission. Il en fait une fonction de l’être. Qui à
l’intérieur d’un langage de langues qui aujourd’hui séparent peut-être beaucoup
plus qu’ils relient, tente de refaire parole ou voix. À la vie, comme au corps, abouchée.
On ne
s’étonnera pas alors que les poètes dont nous parle Pinson ne soient pas ces
petits « Anacréon de province » qui comme l’écrit Bourdieu voient
dans « la reproduction lettrée » l’occasion d’entrer à peu de frais
dans ce champ littéraire dont ils convoitent démesurément les rentes symboliques
mais des poètes qui se font une bien plus haute représentation de leur travail
d’écriture. Car il en va nous dit Jean-Claude Pinson de bien autre chose que de
décorer d’illusoire façon les salles du théâtre mondain où nous nous
produisons. Il en va possiblement de notre survie. De ce que nous serons
capables, nous tristes dissipateurs, de sentir à nouveau, pour les mieux partager,
les libérer, de toutes ces énergies dont nous sommes tissés. Qui s’appellent la
Vie, la Nature. Dont il faut inventer « ces chants pastoraux nouveaux »
écrit-il, dont nous avons tant besoin.
Lire un extrait du livre de J.C. PINSON
lundi 7 septembre 2020
RETOMBER DANS LE MONDE. LA POÉSIE MALGRÉ TOUT. POUR FUIR AUTANT QU’IL EST POSSIBLE LA TRISTESSE D’EXISTER.
Pourquoi alors venir sur ce blog attirer l’attention des quelques dizaines de personnes qui viendront s’y pencher ? C’est sans doute qu’il nous faut fuir autant qu’il est possible, la tristesse d’exister. Tristesse qui nous viendrait d’avoir à limiter pour toutes les raisons qu’on sait, notre puissance, même impuissante, d’être ou de vivre. Il y a de la joie, une vraie joie, comme Giono parlait des vraies richesses, à créer. Sans calcul. À partager. C’est là le signe comme l’ont dit bien d’autres, d’une santé morale, peut-être aussi physique, qu’il importe de ne pas laisser s’abîmer, s’éteindre. Et permet surtout d’affronter aussi bien la sourde petitesse que les éclatantes abominations, les limites aussi toujours plus indécises de notre condition.
D’où nous est à chaque instant donnée la possibilité de retomber
dans le monde. Sans en être écrasé.
Cet ouvrage d’une petite trentaine de pages n’étant tiré qu’à
100 exemplaires pour certains accompagnés d’une œuvre originale de Michèle
Riesenmey, nous ne ferons pas de service
de presse. En revanche chacun pourra à sa guise feuilleter l’ouvrage dans une
version produite sur CALAMEO. Cliquer ici : https://www.calameo.com/read/00620322744892c8ccb7e?authid=F919LcpzAjGJ
[1] Je fais
ici bien sûr allusion à Angèle Paoli qui avec son compagnon, Yves, ont
construit depuis plus de quinze ans avec leur blog terresdefemmes, cet
exceptionnel espace d’enregistrement et de découverte d’une large partie de la
poésie contemporaine qui complète assez bien - les goûts et les choix n’étant
pas les mêmes - cet autre monument connu sous le nom de POEZIBAO. Bien sûr
aussi j’ai bien conscience de mettre ici sur le même plan des réalités qui ne
sont pas de même nature. Toutefois je ne fais pas, en ce qui me concerne une
distinction si radicale entre le travail de poète et celui de critique. Si je
comprends bien qu’on peut se lasser de mettre toute son énergie au service des
autres ou des débats souvent formels d’idées, l’exercice critique, en tout cas
tel que je le plus souvent je le pratique, est une façon de me relier
par la parole à la vie, et l’expression d’un engagement où je mets plus que ma
culture et mes facultés tout intellectuelles de jugement. En ce sens, c’est
bien à moi que d’abord il apporte.
[2] Au sens
où l’emploie le philosophe italien Giorgio Agamben, dans La musique suprême,
Musique et politique, in Qu’est-ce que la philosophie ?
vendredi 4 septembre 2020
LIRE ENCORE SHARON OLDS. ODE À MON COU DE VIEILLE.
Comme l’écrit Tristan
Hordé dans un article de la revue en ligne Sitaudis [1],
les odes de Sharon Olds, du moins une bonne partie d’entre elles, semblent à
première vue reprendre la tradition bien connue du blason : Ode au
clitoris, Ode au vagin, tels sont en effet les titres des 2 premiers
poèmes de ce recueil excellemment traduit de l’anglais (américain) par
Guillaume Condello. Toutefois, précise bien Hordé, ces blasons, « écrits
par des hommes, presque toujours sur des parties du corps féminin, ce sont
avant tout des jeux littéraires, chacun rivalisant d’esprit dans la description.
Les odes de Sharon Olds, à propos de l’anatomie des hommes et, plus souvent,
des femmes [n’ont] pas seulement [pour objectif] de célébrer le
corps, et souvent de manière à choquer le lecteur qui attendrait de l’ode
quelque chose de lyrique (définition minimale aujourd’hui du genre), mais de
placer les descriptions dans la société contemporaine […] d’écrire à propos de
l’expérience humaine. »
L’exemple que nous donnons
ici touche d’ailleurs davantage à la tradition inversée du Contre-blason
et de façon plus large encore à cette pratique illustrée aussi bien par les Regrets
de la Belle Heaulmière de François Villon que par la Vénus Anadyomène
de Rimbaud, qui, à l’espace ouvert par le culte idéalisé de la beauté physique oppose
avec des intentions diverses, l’exposition le plus souvent poussée jusqu’à la
caricature, des laideurs d’un corps soumis aux affres de l’âge ou de la
maladie.
Chez Olds, toutefois, le
profond matérialisme qui l’anime (voir l’allusion finale aux muses) va de pair
avec une perception réellement élargie de son être au monde, qu’elle situe non
seulement dans le temps long de la perpétuation de l’espèce (vers 18-19) mais dans
celui beaucoup plus vaste encore, cosmique, de la formation de la terre ( voir les
métaphores géologiques : synclinaux, anticlinaux, croute terrestre, qu’on
aurait tort de simplement lire comme des exagérations comiques).
On regrettera que la
pudibonderie toujours à l’œuvre, voire de plus en plus, au sein de l’institution
scolaire, empêche que pour les initier à la poésie, un tel recueil soit soumis à
la curiosité de nos adolescents qui sûrement y trouveraient bien plus de
matière à former avec intelligence leur vision des choses de la vie que dans un
certain nombre de textes qui leur sont proposés.