mardi 19 mars 2024

PAYSAGES DE PAUL BRIL.


 

 Né à Anvers au tout milieu du XVIème siècle, mort à Rome en 1626, ce peintre qui aura su, au point d’être le premier peintre non italien à y être nommé à la tête de l’Académie de Saint-Luc, s’établir dans une Rome finalement pas trop accueillante aux artistes étrangers, aura, en matière de peinture de paysage, préparé la voie à Nicolas Poussin ainsi qu’à Claude Lorrain. Si les paysages qu’il traite au début de sa carrière ne sont pas sans rapport avec ceux de Patinir, volontiers fantastiques, leur arrière-plan se perdant dans des bleus caractéristiques et des formes rocheuses artificieusement découpées, ils évoluent peu à peu au cours de son séjour romain devenu pour lui l’occasion de les moderniser, d’en unifier la composition en les faisant baigner dans une lumière s’adoucissant en fonction de l’étagement des plans et des jeux de profondeurs subtils qu’il parvient à orchestrer grâce en particulier aux figures – hommes, animaux - qui les animent et s’y déplacent. J’aime assez son autoportrait qu’il réalise devant une toile qu’il vient d’achever et qu’il représente encore clouée sur son cadre. Comme si le peintre ici nous invitait à entrer dans son œuvre en nous rappelant qu’elle est bien le fruit d’une âme artiste, qui n’aurait utilisé ses pinceaux – qu’on voit aussi pointer vers lui, en trompe-l’œil -  que pour mieux nous faire entendre quelque chose, peut-être, de sa mélodie intime. 


 

dimanche 17 mars 2024

BOUÉES AMERS BALISES. CONTRE LA MOUTONNERIE POÉTIQUE !


 Comme il n’est pas de brevet pour l’invention poétique, il n’est aujourd’hui fils de bonne maison, pourvu du grade de bachelier ès lettres, et ayant un peu de lecture, qui ne parvienne à coudre convenablement ensemble quelques hémistiches de nos poëtes modernes. C’est le même procédé que ci-dessus, pour la prose : on exprime sa mélancolie aux dépens de Lamartine, son ironie avec de Musset, son indignation avec Barbier, son scepticisme avec Théophile Gautier. Chacun a fait son petit Lac, son petit Pas d’armes du roi Jean, son petit Iambe, sa petite Comédie de la Mort, sa petite Ballade à la lune. On emprunte les pensées avec le langage ; ou plutôt on se sert d’une langue riche pour déguiser le néant de sa pensée et la nullité de son tempérament. À part quatre ou cinq noms que je me dispense de citer, mais que chacun connaît, je demande si, dans les essais poétiques qui se sont manifestés dans ces dernières années, il est possible de voir autre chose que réminiscences et pastiches. N’est-ce pas toujours la mélancolie de Lamartine, la rêverie de Laprade, la mysticité de Sainte-Beuve, l’ironie de de Musset, la sérénité de Théodore de Banville ? Eh bien, je le déclare, en présence d’une moutonnerie si persistante, le poëte qui met la main sur mon cœur, dût-il l’égratigner un peu, irriter mes nerfs et me faire sauter sur mon siège, me semblera toujours préférable à cette poésie, irréprochable sans doute, mais insipide, sans parfum et sans couleur, et qui vous coule entre les mains comme de l’eau.

Charles Asselineau
in Appendice aux Fleurs du mal, Michel Lévy frères, 1868

vendredi 15 mars 2024

RECOMMANDATIONS DÉCOUVREURS. PLACE AU ROMAN : DEUX ŒUVRES D’ANTICIPATION MAGISTRALES DE KIM STANLEY ROBINSON POUR COMPRENDRE CE QUI SE PASSE AUJOURD’HUI.


 

J’ai passé, en partie, ces deux dernières semaines, à dévorer deux longs romans de Kim Stanley Robinson, le célèbre auteur américain à qui l’on doit cette Trilogie de Mars que j’ai également lue et dont j’ai rapidement rendu compte il y a quelques mois sur ce blog.

Le Ministère du futur, centré sur la crise climatique commence en 2025 par l’évocation saisissante d’une canicule mortelle faisant des millions de morts en Inde et décrit les efforts ou pas entrepris à divers niveaux dans le monde pour se protéger de son retour ou de son extension. C’est ainsi qu’est créé par l’O.N.U. à Zurich, le Ministère du futur qui donne son titre à l’ouvrage.  Un ouvrage qui nous fait suivre sur plusieurs décennies l’action de l’équipe qui, à la tête du dit ministère, se voit chargée de réduire autant que possible pour l’humanité les risques climatiques.

jeudi 14 mars 2024

JACQUES DARRAS : UNE AUTOBIOGÉOGRAPHIE.

CLIQUER POUR VISIONNER
 

J’imagine que les lecteurs de mon blog, du moins les plus fidèles d’entre eux[1], seront intéressés par la captation de cette séance du séminaire dirigé par Michel Collot à l’ENS Paris, consacré à ce qu’il est possible en effet d’appeler l’autobiogéographie consistant à interroger les liens qui se nouent entre l’écriture, la vie, et les lieux. Donner à Jacques Darras la parole sur les relations plus qu’étroites qu’il entretient depuis toujours avec le Nord, le Nord multiple, ne peut manquer de se montrer passionnant. Et conduire ceux qui ne connaîtraient pas suffisamment encore son œuvre à bien des découvertes et des considérations aussi profondes que stimulantes.

On poursuivra sûrement avec plaisir ce visionnage en regardant cette autre captation réalisée quant à elle à la Comédie de Picardie d’Amiens où Jacques Darras lit un certain nombre de ses poèmes, accompagné par une musique inédite de son petit-fils, Nicolas Worms, interprétée par Barbara Le Liepvre (voir :https://youtu.be/20jzOsGt7BI )


mercredi 13 mars 2024

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS : LA PLONGEUSE DE PIERRE VINCLAIR.


complainte de la plongeuse

C’est à la maison, disent certains,
qu’est la maison, mais ma maison,
marmonne la plongeuse
en mâchouillant les dents de son tuba
en plastique rouge
est l’océan. 

POÈTE HALTÉROPHILE. PIERRE VINCLAIR, COMPLAINTES & Co AU CASTOR ASTRAL.

GROMAIRE,

 

« Ce n’est pas comme si Shakespeare avait peint fidèlement une galerie de types humains, et que par conséquent il fût vrai. Il n’est pas vrai selon la nature. Mais il a une main si déliée et un trait si particulier, que chacune de ses figures apparaît significative, digne d’intérêt ».

Il faut remercier Pierre Vinclair de faciliter comme il le fait le travail de critique par la précision et la diversité des éléments de commentaires et de compréhension dont il accompagne le plus souvent chacune des œuvres dont depuis quelque temps il enchaîne de façon sidérante la publication. Le propos rapporté ci-dessus de Ludwig Wittgenstein, qu’il place en exergue de la seconde partie de son dernier ouvrage, Complaintes & Co, paru dans la petite collection de poche du Castor astral, n’est en effet pas loin de dire l’essentiel, à savoir que la galerie de portraits[1] dont se compose le livre ne cherche pas à mettre en lumière une suite de personnes saisies dans la réalité – est-ce d’ailleurs possible – de leur individualité propre, mais dans l’abstraction d’une saisie plus générale qui les rend chacune porteuse d’une part singulière de sens. Un sens ouvert, comme il le dit ailleurs, moins sur elles-mêmes qui finalement ne sont que des images, des fictions, que sur le « tout du monde ».

jeudi 7 mars 2024

VIENT DE PARAÎTRE : QUI NE DISENT MOT DE LAURENT GRISEL CHEZ LANSKINE.

 

 Composée comme son auteur l’écrit lui-même sur sa page Facebook d’un choix de ses meilleurs poèmes, autrement dit un florilège des textes qu’il aura composés tout au cours de sa vie d’écrivain militant attaché à faire progresser autant que possible les droits fondamentaux du vivant, en se forçant à « voir plus loin que le bout de son nez » s’autorisant aussi à imaginer un monde moins dur aux faibles, moins accommodant envers les puissants, cette anthologie d’une grande diversité, que l’on doit encore une fois aux éditions LansKine, dresse pour nous le portrait en creux d’un homme solidaire qui venu du monde ouvrier considère la poésie non pas comme une pratique esthétique bourgeoise mais un travail d’émancipation. Non seulement pour lui-même, ou pour l’humanité mais pour tout ce qui existe et pourtant ne dit mot. 

samedi 2 mars 2024

SUR LA NOTION D’INFLUENCE. UN EXTRAIT DE DES RIVIÈRES PLEIN LA VOIX DE LUDOVIC JANVIER.


 

     Couchant ses extraits de Loire sur papier bleu Turner se montre assoiffé de fleuve, son eau se répand de l'œil jusqu'à la main, aquarelle qui rêve à quoi ? à l'éternelle influence.

    Mais oui, l'influence ! Une rivière est dans ce mot, une rivière silencieuse.
    Amis des cours d'eau, amis du cours de l'eau, le latin joue avec fluere, couler, d'où proviennent flumen et fluvius, l'ancêtre de notre fleuve. Et donc le latin s'amuse avec influere, couler dans, par extension : faire invasion, par extension : s'insinuer dans l'océan, dans un pays, dans un esprit. De cet influere découle évidemment notre influence. Mon esprit envahit à livre ouvert ! Et le vôtre, donc, nageurs mentaux !

    Elle est partout, l'influence, où il y a filiation, secrète ou avouée peu importe puisque même avouée l'influence reste un secret, regardez-vous, regardez-moi, un secret séminal et silencieux, une insinuation décisive : par la mémoire des voix comme du geste, par le souvenir du sens, par l'imprégnation d'un flux qui pousse notre histoire et la produit.

    Influence est un mot de rivière, c'est la rivière faite pensée, la pensée-flux, c'est un mot-rivière au geste mimétique, ombré qu'il est de sa voix théâtrale : ce gonflement de la diphtongue au beau milieu et cette muette en finale, appuyée sur la sifflante, une finale en forme de glisse, de suite, de fuite, figure de l'eau qui trace et de la pensée qui dépose.

Ludovic Janvier, Des rivières plein la voix / promenade, Gallimard-L'arbalète, 2004