Couchant ses extraits de Loire sur papier bleu Turner se montre assoiffé de fleuve, son eau se répand de l'œil jusqu'à la main, aquarelle qui rêve à quoi ? à l'éternelle influence.
Mais oui, l'influence ! Une rivière est dans ce mot, une rivière
silencieuse.
Amis des cours d'eau, amis du cours de l'eau, le latin joue
avec fluere, couler, d'où proviennent flumen et fluvius,
l'ancêtre de notre fleuve. Et donc le latin s'amuse avec influere,
couler dans, par extension : faire invasion, par extension : s'insinuer dans
l'océan, dans un pays, dans un esprit. De cet influere découle
évidemment notre influence. Mon esprit envahit à livre ouvert ! Et le
vôtre, donc, nageurs mentaux !
Elle est partout, l'influence, où il y a filiation, secrète ou avouée peu importe puisque même avouée l'influence reste un secret, regardez-vous, regardez-moi, un secret séminal et silencieux, une insinuation décisive : par la mémoire des voix comme du geste, par le souvenir du sens, par l'imprégnation d'un flux qui pousse notre histoire et la produit.
Influence est un mot de rivière, c'est la rivière faite pensée, la pensée-flux, c'est un mot-rivière au geste mimétique, ombré qu'il est de sa voix théâtrale : ce gonflement de la diphtongue au beau milieu et cette muette en finale, appuyée sur la sifflante, une finale en forme de glisse, de suite, de fuite, figure de l'eau qui trace et de la pensée qui dépose.
Ludovic Janvier, Des rivières plein la voix / promenade, Gallimard-L'arbalète, 2004
https://ecritscrisdotcom.wordpress.com/2024/09/18/entrer-dans-un-livre-comme-on-entre-dans-la-mer-rc/
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