J’ai passé, en partie, ces deux dernières semaines, à dévorer deux longs romans de Kim Stanley Robinson, le célèbre auteur américain à qui l’on doit cette Trilogie de Mars que j’ai également lue et dont j’ai rapidement rendu compte il y a quelques mois sur ce blog.
Le Ministère du futur, centré sur la crise climatique commence en 2025 par l’évocation saisissante d’une canicule mortelle faisant des millions de morts en Inde et décrit les efforts ou pas entrepris à divers niveaux dans le monde pour se protéger de son retour ou de son extension. C’est ainsi qu’est créé par l’O.N.U. à Zurich, le Ministère du futur qui donne son titre à l’ouvrage. Un ouvrage qui nous fait suivre sur plusieurs décennies l’action de l’équipe qui, à la tête du dit ministère, se voit chargée de réduire autant que possible pour l’humanité les risques climatiques.
New-York 2140 nous plonge dans un futur plus éloigné se situant après les deux grandes montées des eaux qui auront dévasté les littoraux du globe et englouti une bonne partie de la ville de New-york où seule Uptown et principalement le quartier des Cloisters se retrouvent à l’abri des marées qui remontent jusqu’au-dessus de Madison et de l’actuel Metropolitan Museum. Centré principalement, lui, sur la dimension financière, il est paradoxalement celui qui en dehors du caractère pittoresque des descriptions, comme toujours nombreuses et détaillées chez Robinson, nous parle le plus de nos réalités actuelles, principalement du fonctionnement de la finance mondiale telle que nous la connaissons avec les désastreuses conséquences qu’elle a sur la vie du plus grand nombre.
Je n’ai guère le temps de me lancer ici dans une présentation détaillée de ces livres, tâche d’ailleurs en grande partie inutile tant on trouvera en libre accès sur le net des notes de lecture fouillées à leur propos. (voir par exemple : https://charybde2.wordpress.com/2023/11/21/note-de-lecture-le-ministere-du-futur-kim-stanley-robinson/ ) Je voudrais juste partager ici quelques passages clés de New-York 2140, qui, j’espère donneront envie à certains de se plonger à leur tour dans ces ouvrages édifiants qui sans doute valent davantage par le sérieux de leur réflexion fondée sur une documentation toujours impressionnante que par le romanesque de leur fiction. Mais comme toujours il faudra se rappeler que l’intérêt du roman n’est pas d’exposer des idées même justes mais de nous mettre en état de les éprouver, de les vivre comme dit la publicité, en nous les faisant ressentir, imaginer de façon plus concrète et intime, à travers la complexité des situations et la force, le relief ainsi que la mise en confrontation des personnages créés. Ces idées que je tiens à partager ici ne sauraient donc dispenser de la lecture de ces livres.
Extraits de New -York 2140 de Kim Stanley ROBINSON
L’Histoire, c’est l’humanité qui essaie de se ressaisir. Pas facile, de toute évidence. Mais ça pourrait mieux se passer si vous faisiez un peu plus attention à certains détails, comme votre planète, par exemple.
On a toujours payé une fraction de ce que les choses coûtent vraiment pour les fabriquer, mais pendant ce temps, la planète et les travailleurs ont pris les coûts impayés en plein dans les dents.
Le problème, c’est le capitalisme. Nous avons de la bonne technologie, nous avons une chouette planète, et nous foutons tout en l’air avec des lois débiles. C’est ça, le capitalisme, un ensemble de lois stupides.
« La marche du progrès ! » « Le développement durable ! » Il y a toujours une devise encourageante pour marquer la migration sans remords du capital d’un ancien site de taux de rendement plus élevé à celui qui est prêt à le devenir.
[Après les grandes catastrophes] il se trouva un groupe, un certain un pour cent de la population, qui juste par hasard s’en sortit plutôt bien et considéra qu’il s’agissait d’un acte de destruction créative, comme toute horreur qui ne les touchait pas, et que tout ce que les gens avaient à faire pour l’affronter, c’était serrer les dents et accepter l’austérité, c’est-à-dire plus de pauvreté pour les pauvres et un État policier avec plein de liberté d’expression et de styles de vie barrés pour jouer le velours autour de la poigne de fer, et – hop, ni vu ni connu ! – le spectacle continue ! Les humains sont vraiment coriaces !
Jamais autant de mal n’avait été fait à un si grand nombre de gens par si peu !
Les gens en ont marre. Ils ont peur pour leurs gosses. C’est le moment où les choses peuvent changer. Si cela fonctionne comme la loi de Chenoweth le dit, on n’a besoin que de 3,5 % d’une population qui pratique la désobéissance civile et que les autres les voient et les soutiennent pour que l’oligarchie tombe. On obtient un nouveau régime légal. Rien ne l’oblige à devenir sanglant et à conduire à une voyoucratie de révolutionnaires violents. Ça peut fonctionner. Et les conditions sont réunies. — Et donc, comment ça commence, ce genre de chose ? — Peu importe. Un genre de désastre, petit ou grand. — OK, bien. Je suis toujours pour que le désastre se produise.
Quand les choses devenaient sérieuses, les politiciens étaient inutiles. Il valait mieux parier sur l’armée, la Garde nationale, la bureaucratie. Les services d’urgence, leurs docteurs et leurs infirmières. La police et les pompiers. C’étaient ces gens-là qui pouvaient vous venir en aide, ceux que l’on espérait voir arriver. Pas les politiciens. Elle se souvint d’avoir entendu dire qu’après le passage dévastateur de l’ouragan Katrina à La Nouvelle-Orléans, on avait construit des camps de prisonniers plus vite que des installations médicales. On s’attendait à des émeutes et donc, on avait mis les gens de couleur en prison de façon préemptive. Mais c’était au XXe siècle, l’âge des ténèbres, celui des fascismes intérieurs et extérieurs. On avait appris la leçon depuis la montée des eaux, non ?
Au siècle dernier, après chaque crise, songeait lugubrement Charlotte, ou peut-être de toute éternité, le capital avait resserré son nœud coulant autour du cou de la classe ouvrière. C’était aussi simple que ça : le capitalisme de crise, qui enfonçait plus fort sa botte sur la nuque du prolétariat chaque fois qu’il en avait l’occasion. Pour serrer le nœud coulant. C’était prouvé, on avait étudié le phénomène. Pour quiconque observait l’Histoire, c’était impossible à nier. Le motif était récurrent. Le combat contre le nœud coulant n’était jamais parvenu à trouver l’appui nécessaire pour y échapper. Cela ressemblait à un piège à doigts chinois : si l’on se débattait, on justifiait la dureté de la réaction, les camps de prisonniers à la place des hôpitaux.
On sait toujours que les économistes sont vraiment dans la merde quand ils commencent à parler de « confiance » et de « valeur ». D’ordinaire, quand on leur parle de fondamentaux, ils répondent taux d’intérêt et prix de l’or. Puis une bulle éclate et les fondamentaux deviennent la confiance et la valeur. Comment crée-t-on la confiance, comment la garde-t-on, comment la retrouve-t-on ? Et quelle est la source ultime de valeur ? J’ai lu quelques livres d’histoire sur le sujet, je suis certaine que tu en connais le contenu. Te souviens-tu du moment où Bernanke a dû admettre que le gouvernement était le garant ultime de la valeur, quand il a sauvé les banques pendant le krach de 2008 ?
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