La poésie qu’on pourrait dire de mode privé, j’entends par là celle par laquelle une histoire personnelle cherche au moyen d’une langue le plus souvent elliptique, imagée, et sans passer par les opérations formelles de la représentation romanesque, à faire entendre ce qui la touche, l’affecte, ce qu’elle voudrait aussi pouvoir communiquer de sentiments tus, effacer de malentendus, à propos de toutes ces relations difficiles aux autres comme à soi auxquelles la vie nous oblige, cette poésie de mode privé témoigne toujours à mes yeux de cette absolue nécessité de la parole. Celle qui vient donner sens. Recrée de la présence. Renoue l’ensemble des drames vécus, des solitudes traversées, aux imaginaires communs de la langue. Pour s’offrir alors en partage. Se fondre en société[1].
Construire de Clara Regy, qui prolonge un peu comme elle me dit Ourlets II dont j’ai pu ici rendre compte, reprend son interrogation sur la figure du père dont elle survole à grands traits l’histoire, de son enfance de gamin nageant « dans les eaux souillées d’un étang où les vaches buvaient », éclatant dans les champs des grenouilles, décapitant des vipères, jusqu’à sa mort à l’hôpital, en passant par des scènes à l’intérieur d’une cuisine qui le montrent riant avec sa fille d’un passage de fées ou se déplaçant à grand-peine de son fauteuil au buffet pour s’y saisir comme il peut d’un morceau de pain et d’un verre de vin.
Il est fugitivement question aussi dans ce court livre d’une gare qu’on reconstruit. Et qui finit il est vrai par se dresser « orgueilleuse et fragile ». Mais bien sûr ce n’est plus la même. Et avant le chantier aura fait de grands trous. Laissé sur place de grands vides. Je ne sais s’il faut y voir l’allégorie de cette émouvante tentative. Qui insiste c’est vrai sur l’absence de toute vérité. Mais joue bien ici son rôle, sa mission secourable. D’avoir été comme ce fil d’araignée dit par clair hypallage charitable qui continuera de dormir « dans le buffet des noces » jusqu’à la fin des temps.
Extrait :
Monsieur
qui êtes mort
cela m’arrivera aussi
je ne sais pas si vous lirez cela
si les fantômes existent vraiment
soyez gentil avec moi
parce que c’est un peu grâce à vous que je suis là
dans l’invention d’une grenouille à la peau nue
d’un écureuil
d’un renard
et des dimanches
//
l’autre s’en moque
a dépassé les routes
les confluences
et les chagrins
se tient au fil
de l’araignée charitable
endormie
dans le buffet
des noces
encore mille ans
[1] Le problème souvent de cette poésie c’est que chargée d’affects, tout animée qu’elle est d’émotions intimes et surtout profondément traversée, parcourue d’images souvenirs, réelles ou fantasmées, elle ne voit pas toujours assez bien que les mots, que les phrases, lourds ainsi pour elle d’une puissante résonance ne peuvent avoir la même pour un lecteur coupé quant à lui de telles sources.
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