Tension de grille
Le thoracique est de pilonner le sujet comme apparence devancière, quoique l'apparition objective soit l'unique manière de se rejeter en arrière. Cette cause affûte tout car le nom ne doit pas être prononcé. Les mots de même assonance doivent être tus également. La tension s'étend à la file du fils et de la fille, au lignage près. Ce mouvement est celui des trayeurs de mon âme qui n'ont cessé de me retraire. D'où l'origine ballottée d'être le mot de passe, non plus d'os, comme tout à l'heure, mais de degrés. Or, le virement de la chose arrive toutes les fois que les termes sont contradictoires, alors que non, la défectibilité du rien montre la puissance d'agir du néant.
Qu’on ne s’attende pas que je rende clair ici le propos de Patrick Wateau qui débute Tension de grille, l’une des courtes proses rassemblées sous le titre de BRAIRE-ÂNE aux éditions Obsidiane. Car ce que se propose l’auteur à travers ces phrases dont l’énigme l’emporte à chaque fois sur le caractère d’évidence que pourtant la claire syntaxe affecte de leur conférer, n’a rien de cette pensée mimétique qui ne se sert des mots que pour les faire aussitôt s’abolir dans quelque illusion de choses.
Braire[1] comme se laisser traire on ne sait quoi de l’âme, de la langue, de la langue/pensée, sans doute, relèvent en fait de mouvements, de tensions, d’une sorte de gymnastique organique par quoi se traduit du vital. De la présence. Mais une présence, dont on dira qu’elle se veut tout-à-la fois comme en deçà, comme au-delà, de la simple communication humaine. L’excédant des deux bouts. Si bien que rien de nos ordinaires transparences, de nos communs attendus ne saurait s’y faire entendre.
On sait depuis lurette maintenant à quel point les mots tout comme les mains pour ne citer que Bernard Noël, sont aveugles. Et à quel point les productions de notre esprit face à tous les absolus, les infinis qui nous traversent et nous entourent, ne sont au fond que du « caca mental [2]». Ou pour le formuler de façon moins triviale retombent désespérément en suie. Et pourtant le besoin de parole est si fort qu’impossible aussi bien devient se taire que parler. Ce qui fait que parler est se taire. Et se taire est parler[3]. Je connais peu le travail de Patrick Wateau. Qu’il m’en excuse. Mais ces textes que je découvre dans BRAIRE-ÂNE dans leur opacité de surface qui malheureusement je pense, ne les réserve qu’à quelques poignées de lecteurs avertis, ne sont pas sans intention. Qui pour moi s’éclaire par feux, au fur et à mesure des relectures. Car il s’agit ici, je pense de rendre compte de ces « manifestations de force » que sont pour Patrick Watteau les actes d’écriture. Manifestations de force, écrit-il dans Arrachage en étoile[4], qui « ne sont rien, si elles ne sont des manifestations d’esprit, qui ne sont rien sans le rien qu’elles ne contiennent pas, même si l’origine se présente, mais elle non plus, à moins d’être à l’initiative des hôtes ». Il y a sûrement quelque chose d’héroïque dans cette façon qu’a l’auteur qui dit aussi n’avoir jamais cessé de porter sur le réel – un réel débordant d’absolus qui de partout s’aiguisent - toute son attention, de jeter là toute sa violence, sa rage, son énergie[5]. Sachant que ce qu’il fait, par ce vibrant pilonnage apparaître, en même temps n’apparaît pas. Et que l’obscure éloquence de ses caillots de phrases disent autant de sa force au fond[6] que de notre radicale et tragique impuissance.
[1] Le titre du livre de Wateau ne peut pas ne pas faire songer à cette expression imagée qu’est « braire avec les ânes » où peut-être il faut comprendre qu’avec ces proses, relativement inhabituelles chez lui, frappant par leur caractère formellement discursif, comme de commentaire de leur propre démarche, l’auteur affecte avec ironie, dérision, de se rapprocher de ces braiements par lesquels la plupart des ânes que nous sommes envisageons de donner sens à nos médiocres existences.
[2] Voir B. Noël, Les Plumes d’Eros, P.O.L.
[3] « Dire que mon poème fut traduit en silence, et qu’il faut le lire aux endroits où c’est important. Dire que je ne m’émerveille qu’en regardant le vide se lever. » p. 38 . Voir aussi : « La vie coûte la vie pour qui encore se consume. Quant au terme, je n’ai plus devant moi que parler pour empêcher la communication des mots entre eux. » p. 20
[4] P. 56
[5] Voir p. 54 : « Ce qui reste de dicible, je le hurle par les branchies, par un volume de totem pour dire ma pensée, et au-delà encore, quand il suffit de ne rien ajouter. » Voir aussi, p. 35 : « je pense avec des projectiles intracérébraux ».
[6] « Or, s’il est une limite que la portée du sens ne peut franchir, je la franchis. » p. 51
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