De quelle consolation sont capables les mots ? Face à la perte. Au deuil. À la souffrance, impossible chez certains, à supporter. Je ne sais. Ne sachant en fait qu’une chose : c’est qu’ils restent nécessaires. « Il fait plus clair quand quelqu’un parle » nous fait comprendre Freud. « Toute peine est supportable dans la clarté » écrit la philosophe Simone Weil.
Mettre des mots sur le suicide d’un frère plus jeune[1], s’interroger sur tout ce que la réalité comme le sentiment, de son absence, aura transformé et continue de transformer en lui, constitue le dur et sans doute indispensable travail auquel François Coudray s’est jeté au sens presque physique du terme, dans l’ouvrage qu’il fait aujourd’hui paraître chez Alcyone. Divisé en 3 courtes sections, Cendre[2], Lieu, Corps, émaillé de diverses expressions ou citations empruntées à une bonne dizaine d’auteurs aimés, Ça veut dire quoi partir est un livre par lequel une douleur tente progressivement de s’habiter elle-même, la déchirure d’une absence de se recoudre en présence, un vide enfin de se renverser en plein.
Sans doute est-il besoin en fait d’une autre langue pour parcourir ce chemin. D’une langue qui ne recouvre pas d’une autre cendre la cendre que laisse sur chaque chose la fantômale présence de ce qu’on a perdu. C’est à cette invention que s’affronte[3] le « chant » cassé de François Coudray, dont les silences parlent parfois davantage que ses bribes de phrases à la syntaxe régulièrement trouée ou disloquée dont l’adresse, significativement, ne cesse de se déplacer, tiraillée qu’on la voit entre le souvenir vivant du mort, la manifestation comme physique en soi de son absence, l’appel aussi de la vie, ouverte au monde, offerte encore, qu’il faut bien qu’on prolonge.
Il faut prendre à la lettre François Coudray quand vers la fin du recueil il écrit : « j’ai mal de toi/ mais je ne sais plus où// toute la terre alors/ et le ciel ? / pour retrouver mon corps ». C’est que le lieu de la douleur est difficile à définir. Affectant le corps non seulement à travers celui d’un autre mais à partir aussi de toute une série de matières, d’espaces, de paysages, devenus métonymiques de sa présence. Reconfiguration alors en profondeur de l’être[4], la douleur est mobile, invasive et fuyante mais, s’accrochant à tout, elle possède ce don paradoxal de rendre plus intenses les réalités auxquelles ceux que nous avons perdus étaient avec nous rattachés. Ainsi pour finir pas de resserrement dans le livre de François Coudray mais une ouverture, une marche continuée plutôt, vers le grand corps toujours offert du monde. Ces montagnes par exemple, ce parcours encore « dans l’ombre de la falaise le/miroitement du massif dans la lumière/tremblante du sous-bois (le feu la nuit perlée de la hêtraie/le souffle froid des creuses le corps/tendu la terre froide) et le plein éclat de la dalle ». Oui la lumière. Et « toute la lumière », au bout.
[1] J’ai beaucoup pensé à la lecture du livre de François Coudray à ce livre majeur de Camille Loivier, Il est nuit (Tarabuste 2009) qui tourne lui aussi autour du vide laissé par un « frère-nuit » plus jeune ayant fait le choix de disparaître. L’écriture pour ceux qui iront voir semblera bien différente. Mais les parcours ne sont pas sans analogie.
[2] On remarquera le caractère générique laissé par François Coudray à ces trois termes.
[3] Sans non plus d’illusion excessive et c’est très bien ainsi, sur le pouvoir des mots. La belle épigraphe empruntée à James Sacré mise en ouverture de la première partie, Cendre, nous y prépare, avec toutes les nuances désirables : « Un poème est là / Et ne sait plus (ou s’il ne sait pas dire ?)/ S’il est un ensemble de mots dans l’errance/ Ou chose du monde qu’on ne comprend pas ».
[4] Ainsi page 40 : « ton absence réinvente/la géographie de mon corps/cherche/mon chant/les lieux de ton corps disparu/à travers le mien »
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