jeudi 21 octobre 2021

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. TIROIR CENTRAL DE SOPHIE COIFFIER AUX ÉDITIONS DE L’ATTENTE.

Tiroir central de Sophie Coiffier est de ces livres comme on aime : où la pensée – qui existe – ne se laisse pas – trop – intimider par cette volonté bien française de tout contrôler, de privilégier les contenus aux espaces, les mots à la parole. Bref, de vouloir à toute force se rassurer en affrontant la trouble et broussailleuse indécence des choses en produisant un objet littéraire calqué sur les attentes jardinières des publics prétendus cultivés.

 10 courts textes de quelques pages augmentées de photos au polaroïd, pourraient venir ici consigner la vie de l’auteur en lui proposant leurs cases bien distinctes d’où ressortirait pour elle l’illusion qui pourrait être bienvenue, d’un ordre, d’une maitrise la mettant davantage en conformité avec ce monde enclin à tout cataloguer, tout définir, tout catégoriser mais où nous finissons par n’être plus personne.

 

Alors non. L’expression de l’intime qui s’exerce dans ce livre – liste par exemple des chambres, appartements, maisons où l’on aura habité, retour sur la maison d’enfance au bord de mer avec l’escalier central qui monte vers la tonnelle mais qui n’a plus aujourd’hui d’escalier central ni de tonnelle, ni de balançoire d’ailleurs, de poiriers etc. etc. – se fait un peu à la manière de cette artiste québécoise, Jacinthe Lessard, évoquée dans le livre, qui par sa démarche cherche avant tout à opérer entre les choses des liens dont la nature n’est pas déterminée par les logiques ordinaires des catégories auxquelles nous sacrifions. Ainsi le texte de Sophie Coiffier tisse t’il ses fils – nombreux – en les croisant et recroisant, couturant, commentant, annotant, plus qu’en les dévidant de façon linéaire, les nouant aussi et souvent, aux fils d’autres textes qui leur apportent le plus souvent une épaisseur supplémentaire. Sans doute Sophie Coiffier exagère t-elle en comparant ses paroles à « la cacophonie tonitruante des essais instrumentaux qui précèdent tout concert ». Je n’entends rien de « tonitruant » dans sa petite musique qui sans doute est brouillon, tentative, mais qui justement séduit par cela, son inquiétude sans cesse relancée d’elle-même. Sa poursuite toujours au fond insaisissable d’être.

 

Cela qui répudie l’émotion factice et le sensible convenu ne va pas cependant sans toucher. Car ce qui se découvre ici d’une vie tient davantage de tout ce qui insidieusement l’aliène, l’ampute ou la recouvre que de ce qui glorieusement – comme on nous dit – l’exalte. J’en veux pour preuve le dernier texte amèrement intitulé TOUTÉLA, du nom d’un ancien magasin devenu pizzeria. J’y prélève ces quelques lignes : « Supposer que tu as laissé une trace dans l’air de tes nombreux mouvements, à l’image d’une mouche prise dans les rideaux d’une fenêtre de cuisine, ou d’un drone ayant un bug dans son programme de vol, tu passes ton temps à changer de direction, tout en faisant du surplace. Tu auras en fin de compte passé ta vie à te demander ce que tu allais faire et, ce faisant – tout en pensant que tu ne faisais rien – ta vie a passé, fabriquant ici et là des petits trucs, bien sûr, en croisant énormément de personnes aux vies palpitantes ». Qu’il n’y ait pas lieu de se réjouir devant un tel constat est un fait. Tant pour l’auteur que pour les personnes aux vies soi-disant palpitantes. Mais reste cependant, qui n’est pas rien, que l’œuvre est là et la volonté de continuer de s’y rassembler. Dans des dispositions de formes et de mots en constante reconfiguration. Comme le font les nuages. Et ces flux toujours un peu brouillés d’énergie qu’on appelle la vie.


 

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