jeudi 9 janvier 2025

NOTE BIEN TROP RAPIDE À PROPOS DU DERNIER LIVRE DE LAURE GAUTHIER, OUTRECHANTER, À LA LETTRE VOLÉE.


 

J’ai reçu outrechanter, le dernier livre de Laure Gauthier, paru à La Lettre Volée. Depuis longtemps j’apprécie le travail de Laure et me réjouis du succès qu’obtient son premier roman, mélusine reloaded dont je viens d’ailleurs de lire une superbe présentation, sur Sitaudis, sous la plume toujours exigeante de Jean-Pascal Dubost.

Dans la postface qu’il donne à outrechanter, Martin Rueff indique que, « du point de vue des motifs et du contenu […] Laure Gauthier se saisit de figures déposées dans l’histoire culturelle par la tradition [1][…] pour les assécher, les essorer afin de les rapporter à leur teneur vitale de douleurs incarnées. Ce détour par la culture est une donnée de la sensibilité. La tradition littéraire n’est pas ici un trésor à respecter, mais conformément aux exigences du modernisme, un matériel, et peut-être même un matériau comme l’est la langue. Cette matière attend sa mise en forme par la sensibilité parlante de la poétesse. Ce que dit la voix pathétique du poème articulé, c’est un savoir de la douleur des corps, de la violence de la séparation et de l’arrachement des existences ».

Il me semble toutefois que ce n’est pas d’un savoir que procèdent la voix, les voix, que Laure Gauthier démultiplie dans ses divers ouvrages. Mais en réalité  d’un désavoir. Se refusant, comme je l’écrivais à propos de son Kaspar de pierre, à composer pour remplacer à l’intérieur du grand musée de cire de l’Histoire, d’anciennes figures par d’autres plus modernes, elle se propose résolument, hardiment, dans l’en-deça de la parole, de retrouver quelque chose de ce courant d’énergie intime et primordial dont il lui importe de nous faire éprouver la présence avant qu’il ne soit pris dans les formes socialisées, universalisées de la culture. Ou de la langue. 

La voix à cet égard a quelque chose d’essentiel qui, se fragmentant en des lignes le plus souvent courtes et morcelées de blancs, vient résonner dans ces repaires de silence où seule peut justement s’entendre cette tonalité de fond que renvoie l’insaisissable frémissement des existences.

Ainsi, outrechanter n’est pas chanter de façon excessive l’excès même d’une douleur. Mais chercher, derrière les figures plus ou moins connues de tous et à travers la matière fossilisée des mots, la lumière fossile qui rayonne au plus profond, au plus sensible et combustible aussi, de nous[2]. Qu’il appartient, pour Laure Gauthier, à l’ardente polyphonie des voix qu’elle libère, de traduire en vibrations.[3]



[1] C’est ainsi qu’avant sa mélusine, elle sera partie de la figure de Gaspar Hauser (kaspar de pierre, La Lettre Volée, 2017 ), de François Villon ( je neige (entre les mots de villon), LansKine, 2018) et aujourd’hui avec outrechanter des figures d’Héloïse et Abelard ainsi que de celles des deux femmes que met en scène un vieux conte chinois, celui du Serpent blanc dont la première trace écrite remonte à la fin de la dynastie Ming. Je ne peux m’empêcher à cet égard de rapprocher son travail d’un autre tout aussi singulier pour lequel j’ai la plus grande estime, celui de Guillaume Artous-Bouvet dont j’ai aussi salué les ouvrages sur ce blog.

[2] Il me semble à cet égard qu’il est hautement significatif que l’héroïne du conte chinois du serpent blanc soit dans une certaine mesure une figure d’emmurée : le conte dans certaines de ses versions se terminant par son emprisonnement dans les fondations d’une pagode. Pour toujours ? se demande Laure Gauthier à la fin de son texte. Cette question qui ici va loin me paraît ouvrir sur la question de la possibilité vraiment de la parole poétique, comme de la lecture qu’on peut ensuite en faire, de libérer le vivant qui, dans son principe, lui fait signe et qu’elle tente par ses divers chemins d’approcher.

[3] Dans cette note qui n’est pas spécialement centrée sur le livre de L.G. qui vient de sortir j’ai repris nombre de formulations par lesquelles j’ai tenté de rendre compte de ses précédents livres.

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