samedi 24 février 2024

RETOUR SUR NOS HORIZONS DÉSIRABLES.


 

NOS HORIZONS DÉSIRABLES ! La formule était belle qui aura rassemblé sous son intitulé les quelques 200 professionnels de toutes natures venus participer aux deux journées de réflexion proposées à Boulogne-sur-Mer par l’Agence Régionale du Livre et de la Lecture des Hauts de France.

 

On sait que de telles manifestations sont l’occasion de rencontres, de découvertes, d’échanges inattendus. Et si on en ressort toujours bien sûr un peu frustré de n’avoir pas pu approfondir certaines questions qu’on aurait aimé voir davantage abordées, toujours un peu déçu de voir les groupes généralement préférer l’entre-soi à l’ouverture aux autres, ce n’est finalement rien au regard de l’essentiel qui est de rappeler à quel point il est nécessaire, pour qui veut comprendre le monde, le monde tel qu’il va, de prendre en compte l’extraordinaire diversité des aspects, des points de vue, des histoires, des caractères, des logiques, des psychologies, des pratiques, des connaissances, des résistances, des retards, des moyens, que sais-je encore, qui façonnent justement les attentes de chacun, rendant les perspectives si difficiles au total à concilier. Et les bonnes volontés d’autant plus précieuses.

 

 

Primomaniaque de la poésie comme j’aime à me considérer, voulant dire par là non que la poésie soit l’objet de mon attention exclusive mais que je porte à tout ce qui la touche une attention particulière, je n’ai pu m’empêcher de remarquer à quel point ces deux journées y auront fait référence. S’ouvrant sur une lecture de l’ami Dominique Quélen, se prolongeant le soir par l’envoûtante performance d’Ada Mondès, accompagnée en la circonstance par le musicien Hugues Tabar Nouval, ces stimulantes rencontres avaient choisi dans leur programmation de mettre à l’honneur ce genre. Mais ce qui fut pour moi le plus frappant sera quand même l’impressionnant nombre de fois où quel que soit le thème envisagé les intervenants auront renvoyé à l’espace, certes vague, couvert par les mots poésie ou poétique, pour en suggérer l’importance voire la nécessité. C’est que la poésie comme c’est devenu un cliché de le dire, reste un laboratoire de la langue où non seulement peuvent s’éprouver de nouvelles formes d’écriture, d’autres façons de faire livre, de donner autrement vie à ce dernier, mais aussi de proposer à chacun de nouvelles manières de se dire, se chercher et d’éprouver les liens qui nous unissent au monde. Et c’est vrai par exemple qu’en matière d’écologie, de nature, de rapport au vivant ou plus simplement de protestation contre la dévastation qui est en cours du monde, il n’est pas nécessaire de ne se tourner que vers les seules fictions romanesques, les poètes s’en préoccupent depuis longtemps qui auront lu non seulement Thoreau ou John Muir, mais également Rachel Carson voire William Bartram, grâce en particulier à la merveilleuse collection dirigée par l’auteur de Chants d’oiseaux dans un ciel vide, Fabienne Raphoz, aux éditions Corti.

 

C’est humain : bien des choses échappent à notre regard. En particulier comme le proclamait Nietzsche, le fait que, tandis que chacun s’ingénie à satisfaire ses prétendus besoins, le désert croît. Merci alors, à ceux qui, au cours de ces journées, nous auront amenés à nous interroger sur la pertinence de certaines de nos pratiques. Et aux effets pervers de certains dispositifs qui les engendrent. Ainsi, est-il bien nécessaire, par exemple, de continuer aujourd’hui alors que nous croulons sous les ouvrages dont des millions chaque année finiront au pilon, que par ailleurs la pratique disons littéraire de la lecture tend dramatiquement à se réduire, à alimenter cette course à la nouveauté qui réclame sans cesse de nouveaux produits, en publiant toujours plus, en submergeant chaque jour davantage les éditeurs de manuscrits pour la plupart insignifiants. Ne faudrait-il pas dans cette optique revoir le statut d’auteur, repenser les fonctions de libraire, redistribuer autrement les aides et pendant que nous y sommes et puisqu’il s’agit quand même de sauver la planète, du moins de se prémunir contre les terribles effets que nos modes absurdes de consommation dictés par les logiques de l’argent ne fonctionnant majoritairement qu’au profit de quelques uns, nous nous inquiétions, chacun à notre niveau, de ce que nous devrions faire pour contribuer à ce que l’environnement plutôt que la chaîne, du livre, échappe le plus possible aux prédations du Marché. Afin que cet environnement devienne effectivement l’espace où le livre, la lecture, sous des formes renouvelées, ouvertes et toujours plus partagées offrent à tous comme à chacun, cet aliment de l’esprit comme de la sensibilité dont nous avons besoin pour plus pleinement, dignement et j’oserai dire responsablement, être.  

 

Chacun bien sûr a ses idées là-dessus qui ne paraissent sans doute a priori pas tout à fait désirables mais se révèleront peut-être in fine nécessaires surtout si nous désirons qu’un avenir ailleurs que sur Mars reste possible pour nous. Et ceux qui après nous viendront.

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