jeudi 12 janvier 2023

ÉCRITURE CANINE ? LA FILLE DU CHIEN DE PERRINE LE QUERREC AUX ÉDITIONS DES LISIÈRES.

Que fait-elle au juste ? Perrine le Querrec, poète qui aura ces dernières années bénéficié d’un certain succès - Rouge pute, Feux, Le prénom a été modifié -  a décidé de tourner le dos aux fureurs et aux compétitions qui constituent à ses yeux le propre des villes. La voici donc qui choisit d’être moins. De s’écarter. Se replier sur des lieux de silence. De s’animaliser. Tentant de faire corps et présence avec son chien. À la rencontre des éléments. Des choses simples. Ancestrales. Cela ne va pas sans griffures. Déchirures. Interrogations qui resteront sans réponse. À la recherche de cette écriture canine[1] que bien sûr avec nos mots il est impossible de trouver. Cela donne une suite de poèmes qui dans le goût et l’odeur de la terre, des pauvres cuisines de village et des saisons qui passent se trouvent pris dans un flottement, un frottement constants entre intérieur et extérieur. Mutisme et confidence. Solitude et échange. La question fondamentale de la survie, de l’entente ordinaire et simple avec le monde, comme pour les animaux, n’étant jamais très loin.

 EXTRAITS

L'hiver est rude

aucune plainte cependant

 

percent

les petites têtes obstinées

des cyclamens

dans la furie incessante du froid

mots engelures

corset serré champ gelé

crêtes de cristaux que le chien

dans sa course concasse

 

le chêne

blanc

ne prononce

aucune promesse

n'exige

aucun sacrifice

 

collé aux branches

papier toilette maculé

étendard de merde

chierie humaine drapeau droit

l'homme ne se laisse pas facilement

oublier

l'hiver fond

sur la laine de son bonnet

le fleuve en stéréo coule

dans leurs oreilles

                « 

                  Il faut rentrer, rentrer, rentrer ! »

bredouille-t-elle

staccata

se couler laisser couler sur

le lit du fleuve dans un panier

d'osier déposé devant le seuil de la maison

son grand rire maternel

 

***

Hiver

Course

Chêne

Merde

Rentrer

 

***

 

La porte refermée

la maison se resserre

dans l'attente prochaine

du retour bruyant

 

 

les ailés les rampants les bourdonnements

de la communauté des minuscules

société bavarde des mois d'été

             «    

               Ils sont partis »

chuinte une chaise très droite

 

 

solitude acrée

les bêtes leurs bruits leurs humeurs

entre elles et elle et le chien

des odeurs inconnues

glissent le long des troncs typhons

montent s'enroulent en boucle

aux tiges se dissimulent sous les feuilles

en paquets offerts aux narines tremblées

la pente douce du museau

 

l'anse métallique du seau bleu

à la pliure du bras cogne

sa hanche

ses pieds chantonnent dans les bottes en plastique

tout ce qui est nu

genoux cuisses bras

se pare de perles

 

elle dresse ses oreilles

lourdement les mûres lourdement tombent

dans le seau bleu parfois teintent ses lèvres et ses dents

les ronces l'enlacent la cachent

babines noires du chien le sourire vermeil

 

***

bruyant

rampants

odeurs

chantonnent

lourdement



[1] Il ne faut bien sûr pas se laisser abuser par cette déclaration qui ne reste ici que programmatique. N’empêche que cette disposition d’esprit qui se fait ici en partie également disposition du corps va dans le sens des évolutions de l’actuelle biologie qui cherche de moins en moins à marquer la singularité de chaque espèce qu’à trouver les convergences qui existent entre elles. À ce propos je ne peux que recommander la lecture du livre de Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, qui dans ses premières pages revient sur ce que le philosophe gallois Martyn Evans définit au cœur de notre relation avec l’ensemble du vivant, comme le “ wonder ” : « une forme d’attention altérée , irrésistiblement intensifiée, pour quelque chose que nous reconnaissons immédiatement comme important – quelque chose dont l’apparition engage notre imagination avant notre entendement, mais que nous voudrons probablement comprendre plus complètement avec le temps. » L’ouvrage de Perrine Le Querrec à ce titre m’apparaît bien comme traversé par cet affect qui comme l’écrit B. Morizot « semble appartenir à l’équipement nécessaire pour apprendre à apprivoiser l’inconnu, inventer une nouvelle source de nourriture , un nouveau nid , une routine. »

 

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