dimanche 29 janvier 2023

ROYAUTÉ DE LA PAROLE. SUR LE DERNIER LIVRE DE DENISE LE DANTEC AUX ÉDITIONS SANS ESCALE.

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Ne glosons pas trop longuement sur le dernier livre de Denise Le Dantec. Les poèmes qui le composent se lisent en effet dans une sorte d’évidence. Précisons cependant que ce recueil répond à son précédent intitulé Ô Saisons et que cette filiation rimbaldienne manifeste se retrouve tant dans l’intention de l’auteur que dans la nature illuminante ou lumineuse de ses vers.

Toutefois, la reprise en épigraphe d’une phrase de Mandelstam : « Je ressusciterai pour dire : le soleil brille » nous en avertit : la lumière qui jaillit des vers de Denise Le Dantec ne fait pas fi, comme dans cette Saison en enfer dans laquelle Rimbaud aura repris son texte des Illuminations, des puissances mortifères à l’œuvre un peu partout dans le siècle. Un peu partout dans le monde. Sans doute aussi en soi[1]. Mais l’élan vital dont procède ici la parole maintient jusqu’au bout le texte quelle que soit la tristesse de fond dont il peut se trouver porteur, à des hauteurs solaires. « Ma tristesse est lumineuse » affirme Denise Le Dantec, au bas d’un poème que suit tout en haut de la page qui lui fait face ce passage magnifique : « Tu répares le poème avec un fil d’or// Tu fixes une ampoule qui brille comme un soleil// Tu transportes la grande peinture de la Terre ».

Qui lira pour la première fois les textes de Denise Le Dantec ne manquera d’ailleurs pas d’être frappé par l’extraordinaire capacité qu’ils ont de rassembler au fil des plus ou moins longues énumérations de phrases simples qui les constituent, tout l’éventail de ces choses, de ces objets, de ces préoccupations, qui tout au long de notre vie de tous les jours, touchent aussi bien les sens, la pensée que le cœur. Pour en magnifier la venue. La présence. En pointer aussi la souffrance. 

Mais prenons un exemple. Dans le poème que j’ai choisi de mettre en tête du court choix de poèmes par lequel je voudrais pousser chacun à se procurer d’urgence son livre, Denise Le Dantec écrit pour commencer : « C’est l’été/ les fleurs montent ».  Quoi de plus banal me direz-vous. Et ces fleurs, enfin, ces fleurs ! OK. Mais attendez : le poème ne tarde pas à prendre de la vitesse, toupie qui tourne sur elle-même en dessinant sur la page ses cercles larges et imprévus. On y retrouve des insectes mordant de toute leur vitesse sur le bois frais de l’air, une jolie pêche mûre, une fleur toute particulière aussi qui est la fleur de suzanne, acanthacée d’un jaune éclatant mais au cœur noir, un verre de pastis 51 et un Bailey, un camion cyclone roulant sur un dancefloor… Tout un monde commence à se donner à voir à travers des changements d’angles et de focales qui nous font passer des réalités les plus générales aux choses les plus spécifiques. En même temps que le poème nous fait petit à petit entrer dans des mystères. Et qu’on sent bien que passé et présent s’interpénêtent, réel et imaginaire composent l’un avec l’autre. Comme le je et le tu. Les références aux plus triviales des réalités comme aux plus pointues du monde de l’art et de la pensée. Ainsi, « l’effeuillage de Mlle Loison » , une Olala Girl qui se produit dans un cabaret pratiquant à Paris l’effeuillage burlesque,  que Denise Le Dantec a sûrement découvert sur Facebook dont elle est quelque peu « accro » comme on dit, voisine avec l’évocation du titre – I do I undo I redo -  de l’installation de Louise Bourgeois à la Tate Modern de Londres en 1999-2000.

« Tu déclares reine la syllabe » déclare Denise Le Dantec vers la fin de son poème. Comme elle aura dit un peu avant : « les mots montent haut ». C’est ce fabuleux pouvoir d’expansion, l’irrepressible vigueur   de ses visions élancées en parole, cette royauté qui la conduit à imposer son plein pouvoir sur le silence dans lequel tomberaient sans elle le monde et son existence, que démontre à chaque page, on le verra, l’ouvrage de cette terriblement jeune poète de 84 ans, aux mains rugueuses, dit-elle, de paysanne mais à l’esprit généreux, nourri des œuvres les plus fortes, qui n’en finit jamais de m’étonner.



[1] Il suffit de lire le dernier poème du recueil, qui est aussi le dernier de notre courte anthologie pour s’en persuader. On remarquera en même temps la chute du texte qui n’est pas sans dialoguer avec celle du célèbre poème Aube, des Illuminations.

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