vendredi 17 septembre 2021

BONNES FEUILLES. POUR UNE ÉCOLOGIE DE L’ATTENTION, YVES CITTON, LE SEUIL, 2014.

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Dans sa toute dernière livraison du flotoir où elle partage régulièrement avec ses abonnés les réflexions que lui inspirent ses nombreuses et souvent passionnantes lectures, Florence Trocmé insiste sur l’importance et l’intérêt des analyses développées par Yves Citton dans son livre déjà ancien de 2014, Pour une écologie de l’attention. Personnellement, je suis le travail de Citton depuis la parution en 2012 de ses Gestes d’humanités, livre dans lequel, face à cette « forme de barbarie propre à notre modernité programmatrice » qui voudrait « rendre le monde parfaitement univoque, en résorbant à la fois toute opacité derrière laquelle un sens serait caché et toute équivoque à l’occasion de laquelle le sens fuirait en des directions contradictoires»,  celui qui enseigne aujourd’hui la littérature et les media à l’Université Paris 8, dans le département de littératures française et francophones, nous incite « à cultiver nos intraduisibles dont les opacités et les équivoques constituent des réserves de sens indispensables à la poursuite de l’aventure humaine ».

Abordant un domaine en apparence différent, Écologie de l’attention me semble un livre tout aussi nécessaire, qui tout en faisant mieux comprendre les raisons de certaines de nos préventions, concernant notamment la googlisation des esprits, le déficit attentionnel de la jeunesse, nous aide comme le fait toujours Citton à les remettre en perspective, à les recadrer, de manière à ne pas sombrer dans un manichéisme stérile ou dévastateur. Ou rester enfermés dans des schémas de pensée, des systèmes de valeurs, propres à des organisations technologiques et sociétales aujourd’hui périmées. J’ai beaucoup appris à lire Citton. Appris, non comme on apprend une liste de verbes, ou de départements, mais comme on apprend à comprendre, à s’interroger, à élargir sa perception des choses.[1] Et je crois que le travail que je mène dans ce blog ne serait pas ce qu’il est sans tout ce que j’ai pu puiser chez lui.

C’est pourquoi je ne saurais trop insister auprès de mes amis professeurs et des autres bien sûr, pour qu’ils n’hésitent pas, si bien entendu, ils ne l’ont déjà fait, à lire les ouvrages de cet auteur dont je propose aujourd’hui dans mes bonnes feuilles de découvrir un passage, passage dans lequel s’inspirant – du moins au départ - du regard étranger popularisé par la littérature du XVIIIème siècle dont il fut aussi spécialiste, il décrit la façon dont nos industries médiatiques conditionnent notre attention et se rendent par là capables de déterminer la plupart de nos comportements.

J’insiste toutefois sur le fait que ce passage est tiré de la toute première partie du livre consacrée à « l’attention collective » et qu’il faut bien entendu lire la dernière, consacrée à « l’attention individuante » et à ses diverses formes, si l’on veut bien comprendre que sa conception du sujet humain ne se réduit pas à ne voir en lui qu’un individu totalement manipulé par les divers pouvoirs qui s’exercent sur lui.



[1] Voir par exemple ce qu’il écrit à la fin de son livre à partir d’une passionnante réflexion portant sur une aquarelle d’un peintre bengali : « En conclusion de cet ouvrage, il faut donc insister sur le besoin de prendre la notion d’« écologie de l’attention » au pied de la lettre, dans ce qu’elle a de plus matériel – au sein d’une ontologie où, comme chez Spinoza, « corps » et « esprits » ne sont que deux façons d’envisager une seule et même réalité. Se rendre attentifs au second fond matériel (du papier et des cristaux liquides), derrière le fond visuel des images qui nous sont données à voir, cela exige de faire activement attention au tissu relationnel concret qui assure la consistance des figures et des usages que nous projetons sur les différentes parties de notre environnement. Le livre ou l’écran, comme fonds matériels de nos expériences intellectuelles, participent d’un système à la fois productif et destructif, dont le tramage est indissociable de ce qui tisse les exigences concrètes de nos vies. Depuis le migrant africain qui trie notre papier recyclé jusqu’au travailleur chinois qui assemble nos smartphones, ce système produit le plaisir et le loisir des uns aux dépens du travail et de l’exploitation des autres. Au sein du second fond matériel de notre écologie collective de l’attention, c’est malheureusement au prix de la suroccupation et de l’épuisement attentionnel de beaucoup de nos contemporains que vous et moi jouissons du privilège d’avoir arraché assez de temps libre pour pouvoir écrire et lire le livre qui se termine ici. »

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