samedi 11 septembre 2021

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. TERRILS TOUT PARTOUT DE FANNY CHIARELLO AUX ÉDITIONS COURS TOUJOURS.

C’est pour la collection « La vie rêvée des choses » que la poète et romancière Fanny Chiarello a conçu Terrils tout partout, petit ouvrage d’un peu moins d’une centaine de pages, comprenant un cahier de ses propres photographies mais qui va bien plus loin qu’une simple et pittoresque évocation de ces amas de pierres, de terres et de résidus liés à l’exploitation des mines, devenus avec le temps l’un des emblèmes, l’une des figures marquantes de ce bassin minier du Nord-Pas-de-Calais dont elle est originaire. Et c’est dans le temps long d’une Humanité qui à partir de la découverte qu’elle fait du feu, il y a quelque 450000 années, s’est engagée dans un corps à corps destructeur avec la nature, qu’elle situe ce qui nous est présenté comme un roman, mais tient plutôt du récit autobiographique, sinon de l’enquête sociologique, historique, linguistique… voire du factum écologiste.

 

À travers son personnage de Laïka, nom comme on sait du premier être vivant à avoir été mis en orbite autour de la terre, Fanny Chiarello, multiplie dans de courts chapitres, les aperçus sur ce petit grand monde des terrils que, comme à son habitude, elle commence par observer, fascinée « comme si elle voyait en relief pour la première fois, comme si son regard était le premier regard humain à se poser sur lui ». Ce monde, elle l’aura longtemps ignoré, méprisé peut-être, se nourrissant d’univers plus exotiques, plus prestigieux, avant de s’apercevoir au détour d’une sortie entre amies au terril de Pinchonvalles que ce qui se découvre à ses yeux et dont elle ne sait pas grand-chose, n’est pas moins extraordinaire, étonnant, unique, que le souvenir qu’elle a des territoires cajuns, de ces bayous de Louisiane qui l’ont tant émerveillée. Au point qu’elle décide pour lui, d’abandonner la grande ville, la métropole lilloise, fatiguée aussi, sans doute d’y côtoyer « beaucoup d’acteurs culturels dont l’ambition n’est pas artistique et que le développement de leur réseau absorbe totalement ».

 

Non que revenue au cœur de ce bassin minier où elle aura passé les premières années de son existence, elle se mette désormais à l’idéaliser. Le paysage dont, dans ce joli livre, très soigné des éditions Cours toujours, elle tente de dresser le portrait évolutif et composite n’a rien à voir avec ces sucreries dont on cherche à gaver le public, les touristes à qui, par exemple, le Louvre-Lens propose des galibots « meringue, praliné, chocolat noir et crème » à 4,50 € l’unité. Non, son paysage qui est aussi celui de la mémoire de ses grands-parents et de leur maison que de nouveaux propriétaires ont certainement transformé de fond en comble jusqu’à en faire disparaitre totalement l’âme, par souci de mode et de modernité, s’impose comme celui des tensions entre invention, réinvention, permanentes de la Vie et destructions, disparitions qu’entraînent le temps certes mais aussi et surtout l’action pas toujours bien responsable des hommes.

 

Explorant inlassablement, comme à son habitude, les espaces où elle vient de se réinstaller : ses « campagnes aux horizons infinis, ses cours d’eau, ses reliefs, son urbanisme endémique et ses paysages d’une singularité presque obscène – les terrils, les chevalements, les cavaliers[i], les cités minières et cette ligne noire qui court sur le panorama comme un trait de khôl sur une paupière mi-close », et écrivant à l’occasion des conditions créées par l’actuelle pandémie, Laïka/Chiarello ne fait pas que rétablir dans sa puissance d’exister un territoire longtemps et injustement déprécié, elle brosse en fait, un tableau sans concession de notre époque, de nos années 20 2.0, de ces hommes qui, non contents de réprimer partout les formes de vie qui ne sont pas les leurs[ii], « ne se révoltent pas contre les restrictions et les entraves faites à leur liberté mais s’enfoncent mollement dans le confort de la vie sociale sans contact et des commandes sur Internet, livraison en 48 heures, qui devant leurs écrans mangent des animaux morts qui n’ont pas l’air d’animaux grâce à une texture plaisante et des formes design ou amusantes. » « Homo sapiens 2.0 écrit-elle est content comme ça, dans son salon Ikea, il ne proteste pas, ou juste pour alimenter les commentaires qui tissent sa vie sociale dématérialisée ».

 

Et c’est pourquoi elle choisit finalement de « vivre en décalage », et au cœur même de ce monde où s’entassent partout les ordures, où ne subsiste aucun site « qu’homo sapiens n’aura pas marqué de son empreinte », où même les lieux les moins accessibles de l’arrière-monde sont ravagés, témoins de toute la violence aussi que génère notre civilisation, elle prend le sauvage parti – et c’est là sans doute que se voit le mieux justifié le nom qu’elle donne à son personnage - de se « découper un paradis » éphémère, dans la plénitude de la nature qui s’éveille chaque jour avec les premières lueurs de l’aube. « Dans le monde d’avant - celui d’avant que ne sonne le réveil d’homo sapiens ». Ce paradis qui, comme les terrils, pour elle, est, « tout partout[iii] ».



[i] Les cavaliers (ou « cavaliers miniers ») désignaient les voies ferrées construites sur des terrils plats pour relier les puits de mine (fosses) entre eux. Beaucoup de ces cavaliers miniers, après leur abandon se sont spontanément végétalisés et ont de fait développé d'importantes fonctions de corridors biologiques. On trouve sur ces cavaliers une flore abritant quelques espèces rares le milieu étant souvent pauvre en eau ou n'ayant pas reçu d'engrais depuis des décennies voire plus d'un siècle. On y trouve aussi quelques espèces anciennes d’arbres fruitiers provenant probablement des trognons jetés autrefois sur la voie. (Source Wikipedia. Je recommande d’ailleurs fortement la lecture des articles extrêmement détaillés que cette encyclopédie consacre aux terrils).

[ii] Voir p. 61 ce qu’elle écrit à propos de la découverte d’un cheval triste, enfermé dans un enclos. « Homo, c’est ainsi, n’est pas assez sapiens pour supposer une conscience et des sentiments à d’autres que lui. J’ai dit à ce cheval combien j’étais désolée. Je sais, lui ai-je dit, que la calamité, c’est nous. »

[iii] Ce « tout partout » qui disons le au passage est aussi le titre d’une très ancienne plaquette du poète Lucien Suel, est une sorte d’idiotisme caractéristique du parler populaire du Nord. Je l’ai beaucoup entendu dans mon enfance à Boulogne-sur-Mer où l’on avait l’habitude de chercher tout partout ce qu’on avait perdu.


 

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