vendredi 8 novembre 2019

PRÉVENIR L'AVÈNEMENT DE NOUVELLES BARBARIES.


Difficile de résister à l'appel d'un livre qui commencerait de la façon suivante :

PROLOGUE
Entendez-moi.
Nous sommes ici. Nous sommes vivants.
Mille et une choses nous attachent les uns aux autres : paroles, voix, caresses, sang, textes, chansons, lignes, routes, messages sans fil. Parfois ce lien s'exprime simplement parce que nous voyons le même soleil monter dans le ciel, parce que nous écoutons la même chanson à la radio, récitons le même texte en le murmurant, la tête ailleurs, tandis que nous faisons la vaisselle après le dîner.
C'est ce qui s'appelle faire partie d'une société. D'une nation, ou du genre humain. Tout dépend de l'endroit où on place la ligne de partage.

Parfois, des événements se produisent, qui renforcent ces liens et nous rapprochent un peu plus encore. Les mariages, les naissances et les décès rassemblent les familles ; les catastrophes, les guerres et les compétitions sportives soudent les nations, elles amènent toutes sortes de gens à marcher à l'unisson.
Il arrive aussi que se produisent des choses qui rassemblent l'humanité tout entière, unissent le destin de tous les êtres humains, comme si un dérèglement subit de la gravité terrestre engendrait un brusque rétrécissement du monde. En l'espace d'un instant, l'humanité devient plus proche, et chaque être se rappelle l'endroit où il se trouvait quand il a appris la nouvelle.
Parfois, le monde devient si petit qu'il se résume à un seul être humain. Un homme minuscule dans un fjord abandonné.

Surtout s'il est précédé de la même exergue que celle choisie par Hemingway pour son roman de la guerre civile espagnole : Pour qui sonne le glas ?

"Nul Homme n'est une Isle complète en soy-même ; tout Homme est un morceau de Continent, une part du tout ; si une parcelle de terrain est emportée par la Mer l'Europe en est lésée, tout de même que s'il s'agissait du Manoir de tes amis ou du tien propre ; la mort de tout homme me diminue, parce que je suis solidaire du Genre Humain. Ainsi donc, n'envoie jamais demander : pour qui sonne le glas : il sonne pour toi."
John Donne (1579-1631)

Un tel ouvrage existe. Il s'agit du premier roman, L'île, de la
journaliste islandaise Sigríður Hagalín Björnsdóttir. Ce roman qui est ce qu'on appelle une dystopie raconte ce qu'il arrive à une société (ici la société islandaise) lorsqu'elle se trouve totalement coupée du reste du monde et ne peut plus compter que sur ses propres, trop maigres ressources. On me dit que cette histoire est terrible. Les hommes y révélant ce dont ils sont capables dès lors que leur survie matérielle est en jeu. Et dieu sait - c'est une façon de parler - combien cette perspective devient aujourd'hui de moins en moins improbable. Mais les fabulations de fin du monde ne sont pas pour moi une façon de m'immerger dans les trop fameuses passions tristes. Comme l'écrit le chercheur Jean-Paul Engélibert, je pense plutôt qu'elles constituent, comme beaucoup plus confidentiellement s'efforce de le faire une certaine poésie, l'un des moyens pour nous de nous ressaisir et de "nous mettre en position d’imaginer comment prévenir la fin des temps" et plus probablement sans doute, nous rappelant à quelques valeurs essentielles, l'avènement de nouvelles barbaries.

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