jeudi 27 juin 2024

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. SIGNES DES TEMPS DE CHRISTOPHE MANON CHEZ HÉROS-LIMITE.

"Comme la lumière comme souvent le soir comme elle décline et s’estompe puis vient la nuit, c’est tout comme. Ou comme s’il y avait eux, il y avait toi, il y avait nous, il y avait lui et elle, et nous étions tous si tangibles, comme vêtus de rêve et changeant sans cesse de forme, et comme opulents, comme manifestes, tournant à une vitesse vertigineuse sous un vieux ciel de rouille, et tout cela était d’une douceur infinie. Comme des corps vaincus, comme des corps triomphants, comme étendus ensemble et semblables sur le sable, heureux peut- être à regarder la mer. Et le ressac des vagues. Ou bien était-ce du désir. Ou le vaste espace qui soudain s’ouvrait puis se refermait. Comme si cela pouvait avoir de l’importance. C’est bien cela, oui, c’est cela qui nous fut demandé. « Ici plus qu’ailleurs, l’homme peut contempler avec effroi l’abîme de misère où l’esprit de violence et la primauté de la force l’ont précipité. » Mais pitié, dit-elle, pitié. Pitié, pour la perte des roses. Un deux trois et quatre et encore un c’est toujours assez, c’est assez mais trop vite. Mais ce n’est pas un lieu, ou si peu. À se serrer les uns contre les autres. À jouer à cache-cache. À rire aux éclats et hurler et chanter et se déhancher et se divertir et tout cela pourquoi ? Pourquoi ? Oh pourquoi ? Et comment faire face ? Comment de tout cela faire signe ? Marchant vers de nouveaux soleils, toujours plus grands, plus grands encore, et ce n’est pas fini. Car jamais, non jamais nous ne sommes las. Tes lèvres sur ma peau. Qu’est-ce sinon danse de particules ? Une présence qui n’est peut-être pas une illusion. Ni songe ni vapeur. Où nichent précisément les morts en leur juste savoir. Un avion. Un chien. Un baiser. Un tracteur. De vieilles carcasses rouillées au bout des rangs de vigne. Un baiser. Un kilo de patates. Un dimanche. Un trèfle à quatre feuilles. Un lapin doux assez pour apaiser la peur. Et usines et machines et moteurs et solides c’est penser aussi. Et de faire les foins, de récolter les moissons, et ce n’est rien, sois sage, sois sage s’il te plaît. À sécher les larmes. Et quoi d’autre ? C’est le son de ta voix qui m’émeut. Sous toutes les coutures. La rage. La rage est le luxe authentique d’une splendeur infiniment ruinée mais qui sait le prix d’une émotion partagée et rien d’autre, rien d’autre et davantage. À se pendre à ton cou. Voici si longtemps que j’existe, je ne peux rien oublier. Si tu n’as pas la tête à ça. Rouge. Rouge et noir, la bannière des possibles. Que loué soit l’instant où d’un élan soudain tu me pris par la main. C’est bien là la bonne mesure. Maman, c’est toi, c’est bien toi, maman, c’est toi ? Qu’à présent nous avons soif. Qu’ils se nourrissent d’insectes et de limaces. Qu’elles n’ont pas froid aux yeux. Qu’assurément cela te plaît si maintenant je jouis. Ici pas plus qu’ailleurs. Prédateurs et proies. Leur mince espoir de ne pas disparaître. Leur immense espoir de ne pas disparaître. Maintenant qui n’est pas maintenant maintenant. On parvient à se retrouver dans une grande confusion. Si le temps le permet. Un crapaud, un oiseau petit, très petit ou seulement petit. Et merci, merci pour les voici. Que sont-ils devenus ? Est-ce que je sais ? À quel âge ? Où cela nous mènera-t-il ? À quoi ça rime ? Qu’en dis-tu ? Nous sommes en septembre, nous sommes en octobre, en novembre, en décembre, en janvier, nous sommes en février. Des morts, tant de morts, ensevelis sans funérailles. À perdre la face. Le monde ancien toujours refait surface."

 

« Voici si longtemps que j’existe, je ne peux rien oublier », confie dans son dernier ouvrage  Christophe Manon qui réalise par ailleurs que « toute chose, toute chose en cache une autre. Toute chose en cache une autre. » De là sans doute cette façon pour lui de se souvenir[1], de faire signes des temps, sans chercher à en effacer la confusion, dans une succession de proses qui tiennent de la danse des particules[2] ou du vol en apparence erratique des oiseaux[3].

samedi 22 juin 2024

DU CÔTÉ DE CHEZ FAURE. LIRE SÉRIES PARISIENNES D'ETIENNE FAURE CHEZ GALLIMARD.


 

Ceux qui suivent régulièrement notre blog savent que nous apprécions depuis longtemps l’œuvre d’Etienne Faure. Nous le retrouvons avec plaisir dans la suite de ses 16 Séries parisiennes, sous-titrées Vues de quartier où fidèle à ses habitudes il entraîne, à différentes allures de phrase et de pensée, son lecteur. Ici Côté Seine, là Côté rue avant de passer Côté cour, puis ciels, puis sol et même Côté mains et de repartir Côté bar et chambre et cage et parc et gare… sans oublier ce Côté voix où sont rassemblées des évocations de Follain, Guillevic, Réda, Stéfan, Goffette et Vaché.  Comme toujours, le pittoresque de la notation passe par un travail de syntaxe qui tient de l’orfévrerie sans que cette attention constante au rythme, à la puissance aussi d’évocation du mot, ne bride la sensibilité. Le vif l’emporte même s’il faut parler des morts. Du disparu. Allez ! Ces Séries parisiennes qui se développent à la rencontre du circonstanciel et de l’intemporel d’exister, de l’humain, trop humain et de tout ce qui, sous lui, sur lui, à ses côtés ou loin, le déborde, sont encore une réussite.

DEUX EXTRAITS DE CÔTÉ GARE

Les ombres transies font cercle autour d'une chaufferette, apaches plantés au cœur de la gare, plein nord, offrant les mains à l'âtre, au bon feu qui projette, électrique, sur les peaux rouges la paix d'une flamme fixe.

Statique autant qu'un arbre adossé, je rêve, attendant l'autre — replonge le nez dans un livre inodore, elle ne vient pas ou alors rien, prenant racine des yeux dans l'incessant mouvement des corps vitement qui se croisent — les jours sont brefs — par-dessous, par-dessus les dalles, à tout âge issus du sol, hissés dans les trains, pour regagner par voie de surface un peu le jour.

devant l'âtre électrique

 

Bon, ce n'est pas tout d'avaler le noir au matin l'un dans l'autre, il va falloir affronter le jour et renouer de la main ce que la nuit délace : bonjour, s'enfler d'entrain, de transports cheveux triés, peau désherbée, œil de rechange, entrer, sortir de la ville par la gare, emprunter le passage souterrain puis resurgir, traits tirés, tête en transit.

La lente fourmilière abandonne le sang des jambes, demain nous guide à froid sur les trottoirs qui s'échauffent au soleil du matin, soleil, levain des foules.

la ruée vers l’ordre

vendredi 21 juin 2024

POÉSIE, CINÉMA, ROMAN. LIRE LE DOUBLE ÉTÉ D’ARIANE DREYFUS AUX ÉDITIONS DU CASTOR ASTRAL.


 

Comme l’écrit le poète Stéphane Bouquet dans une rapide note de lecture publiée dans EAN (En Attendant Nadeau) « ce n’est pas la première fois, loin de là, qu’Ariane Dreyfus s’inspire d’un film ou d’une danse pour les redire en poème. Mais ce livre porte cette stratégie d’écriture à son amplitude maximale, se servant du film de Mikhaël Hers comme d’un tremplin imaginaire, suivant à sa façon la souffrance, le deuil et la joie des personnages qu’elle mêle à sa propre vie (le goût du piano ou l’amour des chats) ou encore à d’autres films, d’autres danses. Tout cela se fait avec une telle empathie que cette suite de poèmes flirte à sa façon avec le roman. On lit pour aimer la langue mais aussi pour savoir la suite et la joie, la joie qui revient toujours. »

 

mercredi 19 juin 2024

DÉCOUVREZ NOS NOUVEAUX PARTAGES AVEC PRENDRE LA MER DE SABINE HUYNH AUX ÉDITIONS BRUNO DOUCEY.

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Heureux de présenter aujourd’hui la nouvelle formule de nos anciens pARTages. Inspiré par le recueil de la poète et traductrice Sabine Huynh, Prendre la mer, ce numéro consacré à la question des migrants océaniques part de l’évocation faite par cet auteur de l’expérience de milliers de vietnamiens qui auront traversé les mers, mer de Chine, des Philippines, océan Pacifique pour se réfugier au Canada entre la fin des années 70 et le début des années 80.

mardi 18 juin 2024

UN JOURNAL DE CRISE PAS TOUT À FAIT COMME LES AUTRES. AU FAIT & AU PRENDRE DE JEAN-PASCAL DUBOST CHEZ TARABUSTE.


 

Il est ce qu’on pourrait appeler l’un de nos plus prodigues et aventureux logophiles, pour ne pas dire logolâtres. Depuis des décennies, Jean-Pascal Dubost s’ingénie, puisant à quantités de réserves verbales, force même étant présumées mortes, à tenter d’insuffler vie à d’ébouriffants objets de langue dont les matières par lui mâtinées, empiécées, recousues, surfilées, s’attachent au finir, à figurer le monde sans en passer par les communes illusions des parlages plus ou moins mal partagés du moment.

vendredi 14 juin 2024

IMAGES QUI NE ME LAISSENT PAS DORMIR. LE REPOS DURANT LA FUITE EN EGYPTE DE JOACHIM PATINIR DU MUSÉE DU PRADO.

 

Dans les belles compositions de Patinir où j’aime depuis très longtemps me perdre, il n’y a pas que le paysage qui compte. Conformément d’ailleurs à l’esprit de l’époque, il reste essentiellement le cadre privilégié d’une narration dont il importe de savoir remarquer les divers éléments pour rendre davantage justice à l’artiste qu’il fut qu’on ne doit pas réduire à n’être, comme je l’ai jadis lu quelque part, qu’un sublime « harpailleur du ciel ».

mercredi 12 juin 2024

CONCILIER LE CŒUR AVEC LA RAISON GRÂCE AU PREMIER ROMAN DU PHILOSOPHE ET POÈTE ALEXANDRE BILLON.


Je garde pour l’été le plaisir de lire ce premier roman d’Alexandre Billon que ses interventions dans le cadre de sa sélection pour le Prix des Découvreurs 2020, qu’il a d’ailleurs remporté, m’ont permis de mieux connaître.

J’y trouve déjà comme un air de famille avec le beau roman, à mon sens injustement traité de Richard Powers, Sidérations, paru chez Actes Sud.

Pour moi, je ne doute pas que l’intelligence dépourvue de posture et la sensibilité sans affèterie que j’ai reconnues chez cet auteur enrichiront mes belles soirées ligures.

 

dimanche 9 juin 2024

LES DÉCOUVREURS CONTINUENT !

QUELQUES PAGES EXTRAITES DE NOTRE CAHIER CONSACRE A STEPHANE BOUQUET

Depuis pas mal d’années, mon mois de juin aura été presque entièrement occupé par la mise en forme de ce qui a fini par devenir mes Cahiers d’accompagnement du Prix des Découvreurs : des livrets d’un peu plus de vingt pages destinés à faciliter aux jeunes ainsi qu’à leurs professeurs l’entrée dans les ouvrages de nos diverses sélections. Composés d’une rapide présentation, de quelques brefs commentaires se voulant éclairant, ils présentent l’originalité d’accompagner plusieurs extraits significatifs de chacun des ouvrages par un choix d’images sensées en éclairer comme en prolonger la lecture, le soin apporté à la mise en page comme à la réalisation de ces livrets étant aussi voulu pour en augmenter l’attrait. C’est par dizaines de milliers que se comptent leur vue. 

vendredi 7 juin 2024

MA SÉLECTION D’OUVRAGES RÉCEMMENT REÇUS.


 

Où nous voyagerons des berges du lac Michigan à celles du golfe d’Aden en passant par les cases des Bijoux de la Castafiore d’Hergé, des couloirs d’hôpitaux, oscillant du temps de la douleur à celui espéré de la fête, à la poursuite d’un sens qui même recherché à travers le passé reste toujours devant soi, à venir. On y entendra le cri de Tarzan, peut-être celui des hyènes évoquées dans certaines lettres de Rimbaud l’africain. On mourra avec nombre d’illusions pour mieux renaître parmi les mille et une pattes d’oiseau des signes. On passera par les proses, le sonnet, les vers blancs… tous les types possibles de justification. Cela pourra venir en rafales, en murmures, sous formes de relevés, de notations, de creusements, de croisements, d’invocations, d’évocations, de traductions, transpositions, célébrations, fustigations… La poésie est toujours belle qui va du cœur jusqu’aux confins. Puis se retourne. Hâte, maintenant qu’avec l’arrêt du Prix des Découvreurs ma liberté de lectures m’est redonnée entière, de suivre un peu plus à la trace, ces livres qui rappellent à quel point notre monde et ses images sont divers. Et attendent par nous d’être mieux accueillis.