lundi 13 novembre 2023

OUVRAGE MINEUR ? LE CANEVAS SANS VISAGE DE PATRICK VARETZ AUX ÉDITIONS COURS TOUJOURS.


Fruit d’une résidence d’écriture proposée par la Cité des électriciens de Bruay la Buissière afin de couronner l’exposition par elle organisée autour de ces canevas de mineur devenus entre 1960 et 1980 une sorte d’icône des intérieurs miniers, le livre de Patrick Varetz, pour intéressant qu’il soit n’en laisse pas moins quand même le lecteur familier de ses autres livres, sur sa faim. On y verra  sans doute un effet de ces œuvres de commande que la nécessité de s’adapter à des attentes extérieures conduit généralement l’écrivain à composer avec ses exigences propres.

Certes, son Canevas sans visage, s’inscrit bien, ne serait-ce que par l’attention rosse que l’auteur porte à ses personnages, dans le droit fil d’œuvres comme Petite vie ou Bas monde en venant de surcroît compléter le tableau familial qui s’y trouve terriblement brossé. Ainsi, le personnage principal de Leona, infirmière à la retraite que, de point en point, on y suit piquant la toile imprimée de son canevas d’une aiguille à la fois contrariée et hargneuse, se révéle au final être la mère de ce « salaud de père » trimbalant son odeur fluctuante allant « de la saumure de poisson à l’œuf pourri » que Varetz nous aura fait connaître plus en détail dans ses précédents opus. Mais là où les personnages, autrefois présentés à travers la voix réellement singulière, intense et cauchemardée, d’un narrateur qu’on sent à la fois fasciné et terrifié par les violences physiques, psychologiques, sociales dont il est le témoin en même temps que la victime, nous apparaissaient avec toute la puissance expressionniste d’un Céline ou dans le domaine de la peinture, d’un Permeke, Le Canevas sans visage, bien que choisissant de recourir au même narrateur se montre plus soucieux de dresser en quelques lignes l’inventaire seulement pittoresque d’un univers finalement aujourd’hui bien documenté[1], que d’entraîner ses lecteurs dans le spectacle de sa radicale monstruosité[2]. Si bien que l’ensemble des personnages en perdent en partie leur relief pour s’affadir en caricatures.

On n’en voudra pas trop toutefois à l’auteur soumis aux contraintes éditoriales que j’évoquais plus haut[3]. D’autant que ce livre ne manquera sans doute pas d’apparaître plaisant à ceux qui ne le jugeront pas d’un point de vue strictement littéraire mais y chercheront comme c’est d’ailleurs en partie l’objet de la collection qui l’accueille, à raviver en eux les souvenirs liés à ce monde rugueux de la mine que Varetz sait ici évoquer sans tomber dans le sentimentalisme niais. Comme il aura su nous rendre malgré tout attachante la figure de sa grand-mère, au premier abord si peu sympathique, en nous faisant au final éprouver, sa puissance de vie contrariée.



[1] Je pense par exemple ici, parmi beaucoup d’autres, bien sûr, aux livres de mon ami Yannick Kujawa que Patrick Varetz intègre d’ailleurs plaisamment dans la patientèle de Leona.

[2] Pour le dire autrement, Le Canevas sans visage reconstruit dans la fixité d’une image ce qui dans les ouvrages par moi cités de Varetz n’apparaissait qu’en figures infiniment relancées. Rendant au lecteur évident, familier, ce qui n’existait finalement qu’à l’état de présence troublante, se dérobant indéfiniment. A cet égard, le motif du canevas est réellement significatif, même si le fait de ne lui donner sur le plan de la fiction, aucun visage, peut apparaître comme relevant symboliquement du désir d’échapper à l’impératif de simple représentation.  

[3] Parmi ces contraintes, il ne faut bien sûr pas négliger le format, un format court, d’une quarantaine de pages qui limite naturellement les possibilités d’expansion de la voix.

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