lundi 25 septembre 2023

À PROPOS D’UNE ÉMISSION DE THOMAS SNEGAROFF SUR L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE.

 

Le Golem, de Carl Boese et Paul Wegener, 1920

Une poignée d’invités intelligents et j’imagine compétents discutaient hier soir, sur le plateau de l’excellente émission de France 5 C Politique, de la question de savoir si l'intelligence artificielle nous rend ou non plus bête et par voie de conséquence fait courir un risque ou pas à l’ensemble de l’humanité. Étonnement pour moi de constater surtout en cette période d’alarmisme généralisé qu’une sorte d’unanimité semblait s’y faire sur le constat que la machine resterait toujours une machine et que n’ayant ni corps, ni sentiment, ni cette conscience que seule pensons-nous notre cerveau humain génère, elle ne deviendrait jamais plus qu’un outil finalement merveilleux nous permettant d’élargir presque infiniment le champ somme toute assez modeste de nos possibilités.

Je connais les réflexions de Platon sur l’invention de l’écriture, les inquiétudes qu’auront suscité le développement de l’imprimerie, l’apparition de la machine à vapeur et du chemin de fer, sans oublier l’introduction du métier à tisser…Et je réalise fort bien que les craintes agitées par tous ceux qui dans le passé se sont élevés contre ces grandes révolutions technologiques, sans être jamais dépourvues de fondement, n’auront pas été suivies, du moins jusqu’ici, de la catastrophe promise.

Je m’interroge toutefois. Et trouve quand même bien légers ceux qui, connaissant et maîtrisant tellement mieux que moi les grands outils technologiques qui s’apprêtent à reconstruire notre immédiat futur, ne s’alarment pas davantage de leurs prévisibles effets, éblouis qu’ils semblent être par la puissance de ces instruments, que pourtant, la complexité de leur nature, le caractère infini du champ de savoir qu’ils couvrent, l’incroyable efficacité des opérations mentales auxquelles ils se livrent, ne peuvent, dans de multiples domaines, que conduire à rendre l’intervention humaine moins nécessaire, pour ne pas dire inefficace et inutile.

Il y a quelques mois, j’ai pris le temps de lire avec attention, ce thriller de P. W. SINGER et AUGUST COLE, CONTROL, sous-titré L’ère de l’IA et de l’hypersurveillance a déjà commencé, qui explore de façon approfondie et de ce fait plus inquiétante, les problèmes et les dangers auxquels nous expose le développement de ces technologies dont nous ne voyons encore pour le moment que quelques pittoresques effets de surface, mais qui vont radicalement affecter jusqu’au contrôle déjà si limité que nous maintenons vaille que vaille sur nos vies. Imaginé par des auteurs qui se trouvent tous deux  consultants en matière de technologie et de cybersécurité pour le Département d’État US, nourri par une connaissance des plus précises des questions abordées, Control, n’est pas un thriller ordinaire, c’est en fait, comme l’écrivent les auteurs « une fiction utile […] où fiction et recherche de pointe s’entrelacent », le récit s’y trouvant jalonné de plusieurs centaines de notes, développées sur plus d’une quarantaine de pages, renvoyant à une foule d’articles pour la plupart de recherche, sensés justifier divers éléments de fiction et nous éclairer plus avant sur les questions qu’ils soulèvent.

Je reste donc passablement sidéré de voir que quasiment aucun des effets pervers du développement de l’I.A n’ait été évoqué au cours de l’émission pourtant habituellement si passionnante animée par Thomas Snégaroff : perte d’emplois d’un grand nombre de diplomés, surveillance généralisée de nos comportements, manipulations insidieuses des consciences au service d’un asservissement à des structures de pouvoir qui se feront de plus en plus mystérieuses et incontrôlables…

Par ailleurs, le jour même où l’on apprend par les grands journaux d’information que, maintenant qu’ils ont fini de pouvoir les tester à partir de la collaboration gratuite des naïfs et obscurs fournisseurs de données que nous sommes, les Google, Microsoft et consorts se sont décidés à mettre un terme à l’offre gratuite de leurs services d’I.A., comment ne pas s’inquiéter de voir s’ouvrir encore un nouveau marché qui ne fera qu’agrandir toujours plus les inégalités déjà criantes qui règnent tant à l’échelle de notre société qu’entre les sociétés elles-mêmes.

De bien meilleurs esprits et surtout plus puissants que le mien se sont bien sûr déjà emparés de cette douloureuse question. Pour ma part, croyant aux pouvoirs supérieurs de la fiction, ainsi qu’aux vertus du partage et des actions jusqu’aux plus minuscules de résistance, je ne ferai que recommander ici la lecture de l’ouvrage de Singer et Cole, dont je me propose de partager à la suite sur mon blog un passage significatif.  

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