vendredi 8 septembre 2023

À PROPOS DE LA REPOSÉE DU SOLITAIRE DE JEAN-PASCAL DUBOST CHEZ REHAUTS.

Albrecht Altdorfer : Saint Georges et le dragon en forêt, détail.
 

 « Présentement, déployer une débauche d’énergie sauvage pour ne pas être un écrivain inoffensif ». Je retiens cette formule de Jean-Pascal Dubost tirée de son dernier livre chez Rehauts, La Reposée du solitaire, présentée comme un ensemble de notes de carnet qui comme il me l’écrit dans le mot qui accompagne son envoi, font entrer dans [son] atelier mental en Brocéliande.

Le « sauvage » est à la mode dans la poésie du moment[1]. On ne compte effectivement plus les œuvres[2] qui tournent autour de ce concept qui lorgne d’ailleurs de moins en moins vers l’homme des origines, antérieur à toute civilisation, que vers l’animal qu’on n’est pas, qu’on ne sera sûrement jamais, mais qu’on aspire quand même à devenir[3]. Ah ! le devenir chien, le devenir loup, le devenir oiseau… quand ce n’est pas au végétal, voire au minéral que l’on pense : le devenir arbre, le devenir pierre, par exemple…

On comprend ces aspirations. Tandis que se seront au cours de ces dernières décennies, infiniment rétrécis les libres espaces offerts à nos explorations, nous nous sentons tellement enfermés dans les représentations dominantes, les savoirs établis, les fameuses disciplines, scolaires et universitaires, qui auront formaté notre esprit, aplati notre sensibilité, contraint nos émotions, que nous avons le sentiment d’avoir perdu quelque chose d’une relation plus ouverte, intime, aventurée avec le monde. Qu’il nous faut à tout prix retrouver.

La retrouver au cœur d’une double forêt, celle toute physique en même temps que mythologique de Brocéliande[4], et celle, toute de culture et de langue, de la Littérature sans aucune cloison d’époque, de genre ni de de lieu, c’est ce qu’entreprend Jean-Pascal Dubost dans la solitude dit-il d’un bureau qui lui tient lieu d’ermitage, de « requoi »[5]. On s’étonnera sans doute alors d’une « sauvagerie » qui pour se dire convoque une somme de références culturelles érudites qui relève plutôt en apparence d’un comble de science et de civilisation. Comme on s’interrogera au sujet d’une « sauvagerie » qui joue le jeu de la publication et se préoccupe de sa réception sociale. C’est que là comme dans la quasi-totalité de nos formulations il faut moins s’entendre sur la nature même des mots que sur leur visée. Voire leur résonance. « Sauvage », l’écriture de Jean-Pascal Dubost l’est au même titre que les poèmes tout chargés de savoir composant La Sauvagerie du prolifique Pierre Vinclair. Dans la mesure où tout ce qui nourrit ici l’œuvre n’apparaît que comme foisonnante et vagabonde matière ambitionnant moins de circonscrire les limites d’un être ou d’une situation que d’en favoriser l’éclatement, l’élargissement. À tous les sens du terme.

Ainsi, comme l’aura fait en son temps le mythe du bon sauvage, la sauvagerie aujourd’hui interrogée sinon revendiquée par tant de bons esprits de l’époque, n’est nullement un appel, comme l’aurait dit Voltaire se moquant de Rousseau, à pouvoir paitre enfin l’herbe au flanc des montagnes ou se mettre à hurler la nuit avec les loups, mais une façon de dénoncer les enfermements de style et de pensée où l’époque selon eux les condamne. Manière finalement chez ces « sismographes [6]» de leur temps que sont aussi les poètes, de continuer à étendre le champ d’une modernité réclamant depuis plus d’un siècle et demi, sinon davantage, que l’humanité continue d’avancer, de se remettre en question. De s’éprouver, pourquoi pas, plus vivante. En déplaçant toujours plus le vocabulaire, sinon les horizons de l’art. [7]



[1] Et pas que dans la poésie, d’ailleurs. Il suffit de rappeler cette publicité de Dior mettant en scène Johnny Depp déterrant un flacon d’Eau sauvage, dans un décor de désert américain ! 

[2] Tiens. Voila qu’ouvrant le tout dernier livre d’Éric Sautou publié par les éditions Unes, Grand Saint-Vincent, je tombe encore, page 47, sur ce mot : « sauvagerie ».

[3] Ce devenir sauvage peut d’ailleurs conduire à certains excès dont témoigne par exemple le film documentaire de Werner Herzog, Grizzli Man, tourné en 2005, racontant les tentatives répétées menées par un certainTimothy Treadwell pour s’insérer dans le milieu des grizzlis de l’Alaska qui finiront par le dévorer.

[4] Jean-Pascal Dubost a le privilège d’habiter au cœur de cette forêt sur laquelle s’ouvrent les fenêtres de son bureau.

[5] C’est l’une des jouissances offertes par les livres de Jean-Pascal Dubost que cette façon qu’il a de remettre en circulation dans ses livres tout un vocabulaire disparu, des éclats de langue délaissés, qu’il reprend à d’anciens auteurs, via parfois comme il nous le confie, toute une batelée de dictionnaires y compris numériques. Son ouvrage dont je ne cherche pas ici à rendre vraiment compte comme il le verra nous donne de nombreux aperçus non seulement sur l’esprit de son travail mais sur ses conditions matérielles. Son atelier comme il dit. Son office aurait-il aussi pu dire pour en étendre encore le sens.

[6] L’image très souvent reprise semble venir de Hofmannsthal dans Le poète et le temps présent (1907).

[7] Pour compliquer à ma façon une limpide formule de Victor Hugo répondant à un envoi de Baudelaire, le 6 octobre 1859.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire