Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
samedi 30 septembre 2023
PARUTION. ET PUIS, SOUDAIN, IL CARILLONNE, D’ELKE DE RIJKE, CHEZ LANSKINE.
Merci à Elke de Rijcke et bien sûr aussi à son
éditrice de m’avoir personnellement adressé son tout dernier livre, Et puis,
soudain il carillonne, qui rassemble un choix de textes par elle écrits au
cours de ces vingt dernières années. Cette anthologie dans un format de poche
soigné, sera l’occasion pour ceux qui ne connaîtraient pas l’œuvre multiforme
de cette auteure franco-néerlandaise d’en découvrir l’exigeante originalité.
Nourrie tout autant d’une profonde connaissance des arts, de la science que de
la littérature, cette œuvre est de celles qui explorent plus qu’elles ne
circonscrivent, qui dérangent plus qu’elles ne rassurent et surtout puisent
leur vitalité dans le refus de choisir entre le dire et le sentir en
s’enfonçant toujours plus avant dans un travail créatif de formes. Comme je
l’écrivais à propos de l’un de ses ouvrages, le travail d’Elke de Rijcke est en
fait « celui d’une existence tant intellectuelle que sensible, qui cherche
à s’exprimer vitalement dans ses bonds, ses rebonds, ses traversées, en
parcourant des champs de conscience, de connaissances aussi, qui
renouvellent fortement notre perception du réel. » Une œuvre donc qui pour
reprendre à ma façon un texte qu’on trouvera pages 79 et 80, accueillera son
lecteur, toute pétillante d’inventivité, dans l’attente qu’il devienne son ami,
son convive.
Voir aussi sur ce blog :
http://lesdecouvreurs2.blogspot.com/2022/01/juin-sur-avril-un-travail-delke-de.html
jeudi 28 septembre 2023
RECOMMANDATION DÉCOUVREURS : LA SEPTIÈME CROIX D’ANNA SEGHERS CHEZ MÉTAILLIÉ.
Premier roman de l’histoire de la littérature européenne à se pencher sur l’univers des camps ouverts par l’Allemagne nazie au lendemain de sa conquête du pouvoir, l’ouvrage d’Anna Seghers, La Septième croix a commencé à être rédigé en France dès 1938 pour être terminé en 1941, à Mexico où l’auteur aura dû se réfugier. C’est en 1947 que les éditions Gallimard en publieront la traduction française avant que les éditions Métaillié ne la reprennent dans une nouvelle traduction de Françoise Toraille. Et disons-le tout de suite, ce livre dont on aura pourtant relativement peu parlé, comme le fait remarquer Jean Birnbaum dans un article du Monde où il constate, à l’occasion de la réédition de 2020, que son Journal n'en aura jusque là jamais même fait mention, est un livre admirable et toujours nécessaire.
Georg Heisler à qui, au camp de Westhofen, est destinée cette septième croix qui donne son titre au roman, s’est évadé en compagnie de six autres camarades qui seront l’un après l’autre repris puis suppliciés. L’enjeu ici, pour les autres prisonniers du camp à qui la mise en scène à la fois cynique et terrible imaginée par le commandant s’adresse, est capital. « Pour la plupart d'entre nous, ces évadés étaient à ce point une partie de nous-mêmes qu'il nous semblait que nous les avions envoyés en émissaires. Même si nous avions tout ignoré de leur projet, nous avions l'impression d'avoir réussi une entreprise rare. Pour nombre d'entre nous, l'ennemi semblait tout-puissant. Tandis que ceux qui sont forts peuvent sans souci parfois se tromper, sans rien y perdre, parce que même les plus puissants des hommes sont toujours des hommes — et d'ailleurs, leurs erreurs ne font que les rendre plus humains —, ceux qui se targuent de leur toute-puissance n'ont pas le droit de jamais se tromper, car ils sont tout-puissants ou ne sont rien du tout. Quand on réussissait à mettre en défaut, même de manière dérisoire, le pouvoir absolu de l’ennemi, alors, on avait réussi en tout. »
lundi 25 septembre 2023
À PROPOS D’UNE ÉMISSION DE THOMAS SNEGAROFF SUR L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE.
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Le Golem, de Carl Boese et Paul Wegener, 1920 |
Une poignée d’invités intelligents et j’imagine compétents discutaient hier soir, sur le plateau de l’excellente émission de France 5 C Politique, de la question de savoir si l'intelligence artificielle nous rend ou non plus bête et par voie de conséquence fait courir un risque ou pas à l’ensemble de l’humanité. Étonnement pour moi de constater surtout en cette période d’alarmisme généralisé qu’une sorte d’unanimité semblait s’y faire sur le constat que la machine resterait toujours une machine et que n’ayant ni corps, ni sentiment, ni cette conscience que seule pensons-nous notre cerveau humain génère, elle ne deviendrait jamais plus qu’un outil finalement merveilleux nous permettant d’élargir presque infiniment le champ somme toute assez modeste de nos possibilités.
samedi 23 septembre 2023
vendredi 22 septembre 2023
À PROPOS DE LIGURIES, ENSEMBLE DE TEXTES D’ITALO CALVINO, PUBLIÉS EN VERSION BILINGUE PAR LES ÉDITIONS NOUS, TRADUITS ET PRÉFACÉS PAR MARTIN RUEFF.
« Si on veut décrire un lieu, le décrire complètement, non pas comme une apparence momentanée mais comme une portion d’espace qui a une forme, un sens et un pourquoi[1], il faut représenter tout ce qui se meut dans cet espace, ce qui obéit à un mouvement ultra-rapide comme ce qui se meut avec une lenteur inexorable : tous les éléments que cet espace contient ou a contenus dans ses relations passées, présentes et futures. C’est dire que la véritable description d’un paysage doit finir par contenir l’histoire de ce paysage, de l’ensemble des faits qui ont lentement contribué à déterminer la forme avec laquelle il se présente aujourd’hui à nos yeux, l’équilibre qui se manifeste à chacun de ses moments entre les forces qui le tiennent ensemble et les forces qui tendent à le désagréger. »[2]
Cette déclaration d’Italo Calvino, en tête d’un des cinq textes en prose qui composent le recueil d’articles qu’entre 1945 et 1975, il a consacrés à sa terre natale[3], si elle témoigne bien de l’ambition et de la largeur de vue avec laquelle leur auteur entreprend de rendre compte de son sujet, n’en montre-t-elle pas aussi toute l’impossibilité ? Comment en effet rendre, avec les seules ressources d’un nombre fini de mots arrêtés à jamais sur la page, l’infinie diversité des éléments qui travaillent sans discontinuer un paysage ? Ne se place-t-on pas ici dans la position de ce fameux personnage du Chef-d’œuvre inconnu, de Balzac, que son désir effréné d’enfermer son modèle dans une forme vivante conduit à ne plus faire apparaître aux yeux de ceux qui la regardent qu’un obscur gribouillage ?
mardi 19 septembre 2023
vendredi 15 septembre 2023
mercredi 13 septembre 2023
UNE TOUJOURS PLUS DÉVORANTE EXIGENCE D’AMOUR. ÉRIC SAUTOU ET LE TUEUR EN SÉRIE, JEFFREY DAHMER DANS LE GRAND SAINT VINCENT AUX ÉDITIONS UNES.
Léon Spilliaert, Autoportrait, 1908 |
Difficile de rendre compte du dernier livre d’Éric Sautou, Grand Saint Vincent publié par les éditions Unes, tant le caractère indirect, libre, flottant, le mouvement comme régulièrement suspendu, des flux d’images et de pensées que génère la suite de vers en archipel qui le compose, laissent assez peu voir le fil logique qui les relie, si ce n’est qu’on comprend vite que ce mouvement, cette liberté, en recherche constante sinon désespérée de sens, ne le cherchent pas dans l’espace somme toute rassurant, maîtrisé, des considérations rationnelles mais dans celui bien plus intime et insaisissable d’un sentiment : la conscience éprouvée d’un vide, d’une distance, d’une incompréhension, que rien ne parviendra jamais à combler, ni même à énoncer clairement[1].
lundi 11 septembre 2023
vendredi 8 septembre 2023
À PROPOS DE LA REPOSÉE DU SOLITAIRE DE JEAN-PASCAL DUBOST CHEZ REHAUTS.
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Albrecht Altdorfer : Saint Georges et le dragon en forêt, détail. |
« Présentement, déployer une débauche d’énergie sauvage pour ne pas être un écrivain inoffensif ». Je retiens cette formule de Jean-Pascal Dubost tirée de son dernier livre chez Rehauts, La Reposée du solitaire, présentée comme un ensemble de notes de carnet qui comme il me l’écrit dans le mot qui accompagne son envoi, font entrer dans [son] atelier mental en Brocéliande.
mardi 5 septembre 2023
samedi 2 septembre 2023
RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. L’ÉTAT DES CIELS À L’APPROCHE DE LA MER DE JEAN-PIERRE CHEVAIS CHEZ REHAUTS.
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Boudin, MuMa Le Havre |
« Quel sens a une vie sans rosée ? » C’est par cette épigraphe empruntée à l’auteur autrichien Peter Handke que s’ouvre le livre de Jean-Pierre Chevais, L’état des ciels à l’approche de la mer. Incessante variabilité des ciels versus agitation continue et toujours contenue de la mer, humide miroitement de la vapeur d’eau qui se condense la nuit à la surface décolorée des choses, ce sont dans ces mouvements, ces lueurs, ces commencements et recommencements, qu’il importe de lire, ce qui , me semble-t-il, constitue l’un des ouvrages de poésie les plus purs et les plus poignants de ces derniers mois.