vendredi 29 avril 2022

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. BROUETTES DE JAMES SACRÉ. OBSIDIANE.

 

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« Forcément qu’un livre est trace de par où est passé moins ton pied que ta pensée ou l’incertitude inquiète et désireuse de ta rêverie. Aucun lecteur pourtant, ni même toi quand tu relis, ne sera le fin chasseur qui saurait lire d’emblée quel corps et quel esprit vivants ont laissé des marques dans ces fragiles bouts d’écriture que la pluie du temps bientôt défait. »

James Sacré, Figures de solitudes, Tarabuste, 2018

 Comme l’écrit avec sa coutumière justesse Jacques Josse, « où qu’il se trouve, James Sacré aime se saisir, dès qu’il en a l’occasion, d’une image brève et animée qui ne semble là que pour s’offrir à son regard.

Partout, la vie vibre de mille détails. Il faut être sur le qui-vive pour ne pas les rater. S’il sort volontiers son appareil-photo pour figer l’instant, il préfère, dans un premier temps, en dessiner les contours sur place et travailler sur le motif. Il laisse venir les émotions. Elles naissent d’un objet, d’un outil, d’un pan de mur, d’un âne qui braie ou d’un bâtiment de ferme à l’abandon. » […] Ainsi ces brouettes qu’il caresse du regard et qui, simples et usuelles, roulent toujours, poussées par deux bras vigoureux, ou qui dorment au soleil, près d’un hangar ou dans une cour de ferme, en attendant qu’on les réveille. […] Les brouettes, il les repère au fil de ses promenades. Il les photographie, cherche à deviner ce que dissimule leur silence (de bois ou de métal) et leur apparente tranquillité. Il les suit au travail. À côté d’elles, « des ouvriers s’interpellent ». Elles ne répondent rien. N’en pensent pas moins. Attendent leur heure. Savent qu’ils vont les pousser dans des chemins cabossés pour porter à leur place, dans leur caisse, leur ventre profond, des charges trop lourdes pour eux.

« Une brouette c’est toujours
Du rêve et du réel emmêlés. »

Bien sûr le poème ne retient pas la vie vivante qui vivante toujours ne fait que se déployer, s’avancer, passer… Mais quelque chose toujours d’elle s’y accroche. Ou en redonne le sentiment. Ainsi à propos de ce poème évoquant une brouette emplie de pastèques que j’ai choisi pour figurer dans l’Anthologie Découvreurs, je retrouve avec émotion ce jeune matin d’août à Naples où je vois et goûte pour la première fois dans le chahut bruyant et coloré d’une place accablée de soleil sur les hauteurs du Vomero, ces gros quartiers de fruit saignants et tout piqués de grains noirs, rafraîchis d’un filet scintillant d’eau. Je ne saurais rien sans doute de Piacenza où je ne suis jamais allé. N’éprouverai rien du moment singulier, autre, dont le poème se fait trace. Rien si ce n’est, bien au-delà des mots, le sentiment que c’est cela la vie. Une saisie de tout le corps immergé, déployé dans les choses. Et la déprise, la perte qui sans fin lui répond.

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