Toutes affaires cessantes, il faudra écheler ce farouche échafaud d’Henri Droguet, par quoi ce prodigieux assembleur, monte à l’assaut du monde et de la langue, pour mieux nous les livrer, les délivrer, artistement reconfigurées. Car le poème ici ne calque pas les choses, se moque de les simuler, s’interdisant tout réalisme convenu, mais s’emploie, les choquant l’un par l’autre, le monde avec la langue, la langue avec le monde, à redonner puissance, énergie, résonance, aux diverses matières qui de haut en bas composent cet humain espace qu’à travers notre sensibilité et nos propres capacités de création, nous sommes voués à hanter. Et reconstruire toujours.
Cinq parties dans cet opus qui, se terminant par une section intitulée Rideau, nous rappelle que l’œuvre est avant tout théâtre, théâtre comme on veut le faire comprendre ici, mental, articulant paysages et figures, à prendre aux divers sens du terme. Je m’épuiserais à vouloir rendre compte par le détail d’un livre d’une telle richesse d’expression. Mieux vaut pour moi le lire encore et le relire. Y réentendre au hasard des pages inventer en aveugle « la grinche des corneilles/ l’abattis bouillie des comètes ». Y retrouver « la mer à sa bougeotte », tamponner « une estacade/ les gros bollards aux docks à tourteaux/ cuirs et peaux bois sciés et phosphate ». Y retrouver, pourquoi pas, « le petit homme poucet » cognant « sobrement ses galoches », qu’on a été, qu’on est toujours, au détour de ces chemins qui, faisant aussi bien signes de mort que d’éternité, gardent tout leur relief d’enfance.
Allez ! La belle affaire que de vivre. Vieillir. Mourir. Ou d’écrire. Il faut continuer à être. Séjourner dans l’opaque. Écoutons pour finir cette humoristique bien que grave leçon :
« qu’importe quand comment pourquoi nous fûmes
rocher ou couleuvre proconsul ou marteau
au paradis radis jacob ou bien baleine
il survente à la perte on n’entend que
le naturel fracas de la nature et
le monde enfin dans l’exil
résous-t-y mon quiqui c’est du côté
du lointain du silence
qu’il faut – s’il le faut – chercher encore
et encore et encore
la main toujours heureuse, on le verra, de ramener « tous les azimuts et l’élémentaire jouissif vacarme/ des grands souffles répétitifs la turbulence/ et le tohu-bohu », tout l'infini chahut du monde, dans ce chalut bien resserré, luisant et ruisselant, de mots.
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