jeudi 1 avril 2021

RETOUR SUR. JOUBARBE DE CAMILLE LOIVIER AUX ÉDITIONS POTENTILLE.

Il y a des bêtes vivantes et des animaux morts. Des perruches qui pourraient voler mais ne sortiront pas de leur cage. De l’ivoire qui n’est que du plastique jauni. Des choses lourdes aussi. Pas très belles. Encombrantes. Avec au milieu l’enfance. Qui ne finit jamais. Comme une petite cour. Un simple puits de lumière. Sur quoi s’ouvrent les fenêtres arrière de nos destinées humaines.

La conscience qui, dans le dernier livre de Camille Loivier, agite tout cela est celle d’une de ces modestes plantes interstitielles capable de lancer ses racines dans les anfractuosités d’un vieux mur, entre les tuiles un peu disjointes d’un toit, dans la moindre fissure d’un sol : la joubarbe ; l’une de ces plantes dites  par les botanistes succulentes, parce qu’elles sont capable de conserver longuement leur eau, leurs sucs, pour survivre dans des conditions difficiles.

On comprend le choix pour un poète tel que Camille Loivier de placer sa parole sous le signe de ce végétal. Pas de chant d’héliotrope chez elle. Aucune voix brandie qui se voudrait transperçante à la manière d’un glaïeul. La poésie de Camille Loivier – qui ne cherche pas à tout prix à fleurir - ne s’affirme pas glorieusement telle. Elle s’insinue plutôt à la frontière de la prose et du chant. Dans ce qu’on pourrait appeler leur retrait. Peut-être aussi leurs fissures. 


Se pencher, au risque d’en tomber, sur ce qui survit en soi d’une enfance, procède naturellement du vertige. La modeste joubarbe qui possède cette faculté de s’accrocher à quoi vient lui servir d’appui, qui ne respire que la nuit quand elle peut compter sur un peu de fraîcheur, sera pour le poète son meilleur intercesseur, lui fournissant un double, mais suffisamment décalé, étrange, pour qu’on ne puisse pas lui réclamer autre chose que d’induire chez le lecteur, mieux que la représentation fidèle et ordonnée d’une existence, le sentiment un peu douloureux parce que toujours un peu perdu et autre, d’une présence retenue. Et retenue à peine. De soi à soi. De soi aux autres. Aux choses qui nous furent liées. Dont on voudrait aussi parfois qu’elles recommencent.

Le poème de Camille Loivier s’écrit ainsi aux  passés. Aux passés révolus comme aux passés jamais finis et fragmentaires qui nous travaillent. Aux présents des renaissances aussi, pour ressortir comme il peut, en attentes précaires. Et son détour végétal, obstiné mais dépourvu d’emphase, ne fait que mieux ressentir non pas l’inquiétante mais l’intime ou voisine étrangeté de ce qui, nous ayant été donné à vivre, diffuse toujours ses sucs, par les canaux mystérieux de nos imaginaires, enraciné qu’il est – sempervivum ! - dans notre sensibilité profonde. 

N.B. Cet article est paru pour la première fois en septembre 2015 sur mon précédent blog aujourd’hui inaccessible.


 

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