mercredi 7 avril 2021

03 74 09 84 24. ENTENDRE NOTRE BESOIN DE POÉSIE ! SUR LE RETOUR DU SERVEUR VOCAL POÉTIQUE (SVP) DE LA COMPAGNIE HOME THÉÂTRE.

DALI 1938, MOUNTAIN LAKE

On connaît bien la difficulté pour la poésie, de sortir de l’indifférence active qu’ont en général pour elle, l’enseignement, les médias, de trop nombreux responsables culturels qui, tout en se servant régulièrement du mot pour apporter sa valeur ajoutée à leurs discours, se désintéressent en fait autant qu’ils peuvent de la chose, jugée par eux ringarde, élitiste et bien sûr illisible.

On apprécie alors d’autant plus ces initiatives qu’individus, associations, compagnies, prennent pour redonner à la parole poétique cette place qu’elle a dans l’histoire des peuples[1] mais qui lui est aujourd’hui, si chichement mesurée.

 Je ne reviendrai pas sur les raisons qui auront poussé Julien Bucci, de la Compagnie Home Théâtre à relancer tout récemment le Serveur Vocal Poétique (SVP) qu’il avait pris il y a quelques mois la décision d’interrompre. Un certain nombre de médias s’en sont depuis fait l’écho, préférant d’ailleurs insister sur les à-côtés bassement politiques de la chose que sur l’intérêt littéraire et artistique de la dite opération.


SVP dont l’idée première, c’est vrai, peut être rapportée à l’oeuvre culte de John Giorno Dial-A-Poem (1968), permet l’écoute de poèmes, par téléphone en appelant gratuitement un numéro dédié ( 03 74 09 84 24 ). Et même si, par rapport au dispositif imaginé par l’artiste américain qui permettait d’avoir au bout du fil les voix d’Allan Ginsberg, Artaud, Louise Bourgeois, Bernard Heidsieck, Gainsbourg … au total 200 participants venus comme on le voit de tous les horizons, les trente interventions proposées par SVP ne peuvent se réclamer du même prestige culturel et artistique, leur mérite n’en est pas moins de proposer à notre curiosité la découverte en raccourci de ce qui est en train de se faire aujourd’hui dans un champ artistique qui n’aura jamais été aussi ouvert et n’aura jamais offert à tous tant de possibilités diverses d’expression.

 Non que ces trente courts poèmes qu’on pourra écouter, relayés par la voix des comédiens de Home Théâtre ou par celle de leurs auteurs mêmes, échappent à tous les clichés de notre modernité poétique, mais c’est le lot de tous les arts que de tomber parfois dans la posture, l’imitation ou la formule creuse. Ce qu’il faut retenir c’est que la poésie ici cherche à dire autant qu’elle peut le monde, la vie, à exprimer des sensibilités qui peuvent en aider d’autres à se reconnaître et s’accepter. Surtout cette poésie cherche à se faire entendre, utilisant de préférence les mots de notre quotidien, préférant aux formes savantes héritées du passé celles plus relâchées et par là accessibles auxquelles tous sont habitués.

Alors bien sûr on pourra s’étonner, se divertir, s’agacer à l’écoute de certains textes qu’on peinera parfois à reconnaître comme relevant de la pure poésie. Mais il y a bien longtemps que cette poésie pure – expression qui ne veut finalement rien dire - a disparu de nos horizons. On aura davantage raison, sans doute, de déplorer chez certains le recours à ces crâneries d’artistes qui comme le disait Baudelaire cachent la plupart du temps l’impuissance du faire[2]. Mais ne jouit-on pas comme disait l’autre que par contraste. Et le médiocre – dixit encore Baudelaire – n’a-t-il pas le mérite immense de mieux faire ressortir le meilleur. Qui est parfois affaire de goût. On laissera donc à chacun le soin de s’aventurer dans les plis et replis de cette machine sonore à la recherche des pépites aussi qu’elle recèle. Mon choix tout personnel allant à Qu’est-ce qui te fait vivre ? le  texte de Laurence Vielle, lu par ses soins. Voire à celui de Valérie Rouzeau, intitulé Mécanicienne, fort bien lu ma foi, par la comédienne Carole Le Sone. Comme est aussi bien mis en valeur par elle ce texte de Lili Frikh - assurément l’une des voix les plus fortes d’aujourd’hui - Je t’appelle avion. Tiens. Je m’aperçois que je viens de citer quatre femmes, ce qui est encore bien là l’un des traits marquants de notre nouveau paysage poétique qui s’est si fortement rééquilibré au point que les femmes y occupent maintenant, en tous cas dans les générations les plus jeunes, une place essentielle.

 J’oubliais. Un autre des mérites de ce généreux dispositif est de faire cohabiter à côté de certains des poètes les mieux établis du moment, dont les textes sont tirés de volumes publiés par les meilleurs éditeurs, de jeunes créateurs qui auront proposé aux organisateurs des textes inédits qu’on pourra découvrir aussi sans aucune prévention, les concepteurs ayant eu la bonne idée de ne révéler l’identité des auteurs qu’une fois l’écoute faite. C’est donc en échappant au préjugé bien connu lié à la réputation que chacun est invité par le hasard de ses choix numériques à partir à la rencontre de ces voix[3] qui devraient avant tout faire entendre que la volonté de poésie, la disposition des humains que nous sommes à s’augmenter ou s’élargir par la parole créatrice, reste toujours bien vivante aujourd’hui.



[1] C’est mon ami Jacques Darras qui me faisait un jour remarquer que, dans la célèbre collection La Pléiade, la moitié au moins des auteurs formant le gratin de la littérature mondiale, depuis les origines, étaient en fait des poètes !

[2] Il serait bon aussi que la poésie comme on le fait avec le théâtre ou le cinéma se confronte publiquement à autre chose que l’hypocrisie de surface qui veut qu’on la déclare publiquement presque systématiquement géniale, superbe, remarquable, magnifique. Ce qui gonfle démesurément certains egos et nuit je crois fortement à sa crédibilité générale.

[3] On trouvera sur le site de l’association la liste de tous les auteurs ainsi que des comédiens et comédiennes qui contribuent à la mise en œuvre de cette opération.


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