C’est une nouvelle fois à « débauche plumitive au long cours » que les éditions Tarabuste invitent le bénévole lecteur – il en reste – avec Assemblages et ripopées composés par cet opiniâtre Ouvrier Verbal Complexe Qualifié (O.V.C.Q.)[1] qu’est Jean-Pascal Dubost. Reprenant ici des textes pour la plupart déjà parus dans diverses maisons suite à ces Résidences d’écriture « par quoi l’écrivain revêt officiellement sa fonction essentielle d’écrivain en temps donné (rétribué) et lieu précis », l’auteur, appareillant comme toujours les « mille (et plus) subtilités des langages humains » s’adonne à cet art du mélange et de l’invention fait avant tout chez lui des rencontres fécondes que suscite la fréquentation minutieuse autant qu’aventurée des textes anciens comme bien sûr modernes et des milliasses de dictionnaires, glossaires, listes, répertoires, tables, index, lexiques dont on imagine ses bibliothèques pleines jusqu’à craquer.
Écrit suite à un séjour d’auteur à proximité d’un vignoble, celui de Grignan-les-Adhémar, Assemblages, le premier ensemble du recueil, sensé évoquer les plaisirs du vin, célèbre pour commencer l’intense fermentation d’intelligence et de langue mêlées par quoi s’élabore « en fût céphalique » le poème qui comme un bon vin se fait « d’assemblages de différents terroirs lexicaux et champs sémantiques favorisés cependant par une bonne exposition aux dictionnaires, aux documents » et paroles entendues. La métaphore file alors malicieusement de l’une à l’autre de ces deux éjouissantes réalités dont le commun est de réchauffer tant les sens que l’esprit et de se prêter, par travail éclairé portant sur choix des meilleures matières, à l’élaboration de produits inédits et goûteux.
Ripopées, terme qui lui aussi appartient au lexique du vin, quoique connoté cette fois de façon négative, encore qu’il est des ripopées – j’en ai l’expérience – proprement extraordinaires tel cet Edelzwicker un soir bu dans une winstub de la rue des Juifs à Riquewihr, Ripopées donc, ensemble de textes adressés au cher Ronsard, pour cause cette fois de résidence au prieuré de Saint-Cosme où vécut et mourut l’illustre Sonneur Vendomois, n’est qu’une autre façon de cogner de la langue contre celle du maître ancien, s’amusant aux formes par lui expertement pratiquées, Epître, Epigramme, Imitation, Folastrie, Épipalinodie, Hymne, Dithyrambe, Epitaphe… pour jouir encore et encore du plaisir de « débigoter la langue dans la démesure du possible » sans s’abstenir de moquer au passage, en toute impertinence, le peu d’effets de ses vers amoureux sur la gent féminine et son souci trop marqué de la postérité, dite « branlette pérenne ».
Pour les deux autres parties, Nerfs, petits tableaux journaliers d’une saison passée à la Maison de la Poésie de Rennes, occupée principalement, on le croirait, à hanter les cafés pour y attraper des bribes de conversations puis Dame, inauguré par une merveilleuse épigraphe de Jude Stéfan[2], suivie de près dans le poème dit Liminaire par la plus connue déclaration de Flaubert : « La vie ! la vie ! bander tout est là. » , je laisse l’amateur s’y reporter pour voir à quel point Jean-Pascal Dubost qui pour ce qui est de Dame, part de bien senties citations de nos meilleurs poètes connus et inconnus du Moyen-Âge à la Renaissance, voire même à l’époque classique, ne varie une nouvelle fois son approche que pour mieux continuer de s’ébattre « dans le riche patio de la langue ». Une langue qu’on dirait à la fois érectile et profonde, à laquelle, en ce beau jour d’avril où je suis, je trouve qu’il redonne verdeur et printemps. Sa puissance en quelque sorte germinative de nous rendre plus pleinement à la vie. Oui : si les mots ne sont pas les choses ils ont pouvoir en nous toujours de les guigner et ranimer.
Car, on aurait grand tort de croire que l’univers où nous installe à plaisir l’ouvrage de Jean-Pascal Dubost soit de pure, archaïque et idéale littérature. Notre monde d’aujourd’hui, c’est ce qui en fait le sel, s’y retrouve aussi tout entier : Eros et Cernunnos y voisinent avec Wiki, Microsoft et le Dieu Internet. On y parle de hoax et de SMS, de foot ou de pesticides, des exécutions en Chine ou des résidences pavillonnaires aussi bien que de poudre de perlimpinpin, d’électeurs acéphales, de serfs volontaires, d’abstèmes de la pensée, de faiblichons de la comprenette, d’apathiques de la calebasse. J’insiste sur ces expressions car ce que nous fait bien comprendre l’auteur c’est à quel point réduire notre commun vocabulaire et l’éventail de nos possibles expressions tout en ingurgitant mine de rien les médiatiques levures qui aujourd’hui font fermenter nos imaginaires, serait la pire pour nous des choses, qui nous puisse advenir.
[1] C’est ainsi qu’il se définit lui-même dans un ouvrage paru en 2019 à l’Atelier contemporain, Du travail.
[2] « Les mots d’amour mourront dans les greniers »
EXTRAIT :
FOLASTRIE
Cher Ronsard, en cette prose je convoque, crédieu de médieu, en un factice de chez factice mouvement voluptueux et tumescent d'allégresse fescennine* maitrement asservi à ma volonté que je laisse à volonté folastrer dans le champ syntaxique, je convoque quelques Dives Cérébralités de l'instant qui s'autodétruiront quand le poème sera fini terminé, c'est assavoir Lupercus, fouetteur et maître des sangs et de céans, ainsi qu'Internet* , Priape, Eros, Pan, Cypris, Callipyge, Wiki, Cernunnos*, Morrigan*, Luperques et Faunes et Satyres et Naïades et tout un congrès mythologique lubrique afin qu'une débauche plumitive au long cours ait lieu, sybarite autant que stupreuse, lascive, profuse et virtuelle, impossible autant qu'irréelle pourtant divine et assumée, où diablesses et dieusses et deables et dieux, sans douter de moi-même, de mainte paillarde venue, conversent et convergent d'un même compas voire d'un pas même au fur et sans mesure qui vient de toute gayeté de cœur et de cul dans l'écriture badine et mutine, où ça parle pour ne rien dire, dea-da, mais ne rien dire c'est dire et voyez comme, comme en cette folastrissime prose la main bien armée fait couler le doux style rude d'un branle habilement léger, édonc édonc, pénétrons le petit guichet de l'église des Neuves Dames, entrons par le pertuiset de leur maisonnette jusqu'au vide, au Bordel des Muses, irrévérons-y, çà donc Culons Clio la Catin, Épinglons Euterpe l'Enfileuse, tringlons Thalie la Tentante, Mouillons Melpomène la Messaline, Tâtons Terpsichore la Trainée, Enculons Érato l'Enflammée, Pinons Polymnie la Perverse, Urinons Uranie l'Urophile, Calfeutrons Calliope la Chienne, car le sexe est gouffre de mots, le sexe affole les plus sages, le sexe aveugle les raisons, le sexe renverse les maisons, le sexe honnit la renommée, le sexe défroque les plus saints, ah ! yes! bran ! ho quoi !, en cette phrase de prose de poème qui court et s'enfle à générosité pour louer l'élasticité de la française phrase dont jamais je ne m'en fâche lorsque toute elle trémousse d'un si gaillard maniement qu'elle soulage nostre unîment et qu'elle se délisse délicieusement et sans que beauté n'ist du Con Classique, ah donc, débigotons la langue dans la démesure du possible de lui rendre l'Orde Élégance, que ni la trop songneuse garde, ni les zélotes sourcilleux, ni les cerbères menaçants, ni les prêchements des prêtres, ni les soupçons des gendarmes des Lettres n'aient puissance de défaire ce que j'aime trop mieux de l'écriture élégante et crue, aristocrate et rustre, sensuelle et guerrière, charnelle et courtoise, dominatrice et soumise, sauvage et sociable, langue nenni point languelette, ni maigrette, ni étiquette, ni pucelette, ni belette, ni joliette, ni mignardelette, ni tendrette, car la langue nôtre doit avoir, grâce à l'énergie des grandes irrégularités du langage, doit avoir, par la puissance verbale des arts poétiques, doit avoir, par le pouvoir mutable du poème, doit avoir, par les forces constamment remodernisées de la poésie, la Complexité Pute, la Volupté Divine et la Barbare Beauté, et ça, mon p'tit père, fallait que je le disse –
NOTES DE J.P. DUBOST
FESCENIN : « À l’origine, les vers fescennins étaient des sarcasmes les plus grossiers possible et les insultes sexuelles alternées que les jeunes gens des deux sexes s’adressaient l’un à l’autre […] Les hommes se déguisaient en bouc attachant sur le devant de leur ventre un fascinum (un godemiché, un olisbos) ? Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi.
INTERNET : « Internet prend une majuscule ? Bien sûr comme toutes les divinités « in Libération le 18 juillet 2015.
CERNUNOS : Divinité celtique porteuse de bois de cerf sur son chef et représentant la puissance virile.
MORRIGAN : Divinité celtique de la Mort et de la Guerre, tantôt très belle, tantôt hideuse, se transformant en louve ou en corneille, possédant de grands pouvoirs de séduction.
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